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d’avoir propagé le bruit d’un complot royaliste contre la vie d’une vingtaine de généraux de l’empire. — « J’ai correspondu non pas avec Napoléon, mais avec Murat, répondit Exelmans. Le roi de Naples est mon bienfaiteur, je ne puis être indifférent à ses succès ni à ses revers. Quant aux chouans que j’ai dénoncés, le fait est vrai ; mais je suis sur mes gardes. » Puis, s’animant, il montra deux pistolets qu’il portait sous son uniforme et dit : — « Je m’en servirai même dans votre antichambre si j’y suis forcé. »

Trois jours plus tard, le 10 décembre, Exelmans fut relevé de ses fonctions d’inspecteur-général de cavalerie et reçut une lettre de Soult, qui lui enjoignait de se rendre sur-le-champ à Bar-sur-Ornain, lieu de sa naissance, où il jouirait du traitement de demi-activité[1]. Exelmans était, en effet, né à Bar, mais il avait quitté cette ville depuis plus de vingt ans. Quand il ne faisait pas campagne, il habitait Paris ; il s’y était marié en 1808, ses enfans y étaient nés, et il y était locataire par bail d’une partie d’hôtel. Il écrivit au ministre, lui exposant ces raisons et l’assurant, d’ailleurs, qu’il s’empresserait d’obéir aux ordres du roi si l’état de grossesse avancée de Mme Exelmans ne le retenait temporairement à Paris. Mais, averti par Maison que Soult ne voulait lui accorder aucun délai, il consulta ses amis, entre autres Macdonald, qui décida qu’Exelmans étant en non-activité et ayant son domicile à Paris, le ministre n’avait aucun droit de le reléguer à Bar-sur-Ornain. Soult en jugeait autrement. Le 14 décembre, un officier et deux gendarmes se présentèrent chez Exelmans et lui signifièrent qu’ils étaient chargés de le garder à vue dans son logement jusqu’à nouvel ordre. Le général, exaspéré, écrivit de nouveau à Soult pour protester contre cette violence. Il termina sa lettre par cette phrase ironique, qui marquait sa résolution de rester à Paris : « Votre intention a été que je me rendisse chez moi ; je crois vous obéir en y restant. »

On apprit bientôt la séquestration d’Exelmans. Il devint le héros du jour, non-seulement pour les officiers de tout grade, qui craignaient eux-mêmes un pareil traitement, mais aussi pour les constitutionnels. Si ennemis qu’ils fussent des « sabreurs, » les

  1. Soult à Exelmans, 10 décembre. (Moniteur, 25 décembre). — Le terme de « demi-activité » est impropre. Soult aurait dû écrire : « de demi-solde, » traitement accordé sous la restauration aux officiers mis en non-activité par suite de la réduction des cadres. Soult prétendit à tort qu’il y avait une distinction entre la demi-activité et la demi-solde et qu’Exelmans était en demi-activité. Exelmans avait été bel et bien mis en non-activité et à la demi-solde le 10 décembre 1814, ainsi que l’atteste la mention portée à cette date sur ses états de services. (Dossier d’Exelmans, Archives de la guerre.)