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Que maintenant les choses, dans la réalité, se soient ainsi passées, je n’oserais en répondre. Quelque application que l’on mette à ne rien avancer que l’on ne puisse prouver, il y aura toujours, jusque dans l’histoire la plus authentique, mais surtout dans l’histoire des idées, trop de place encore pour l’incertitude, et par conséquent pour la conjecture. Si cependant rien ne s’oppose à cette manière de concevoir les parties obscures de la Querelle des anciens et des modernes, il me semble qu’on peut la proposer. Mais elle devient tout à fait vraisemblable si l’on fait attention qu’elle explique les suites de la querelle, aussi bien que ses commencemens, et pourquoi la dispute s’est divisée comme en deux courans, dont l’un allait se perdre insensiblement dans les sables, tandis que l’autre allait grossir, et s’enfler à travers le siècle, de tout ce que les progrès de la science et des arts mécaniques lui apporteraient d’affluens.

C’est peut-être assez dire que nous ne parlerons ni de Mme Dacier, ni de La Motte-Houdard, ni de l’abbé Terrasson. Ils n’ont pas compris la question, si même, avec leur bel esprit ou leur grosse érudition, bien loin de la faire avancer, ils n’étaient gens à la faire plutôt reculer. Ce sont eux, en tout cas, qui de la querelle des anciens et des modernes ont vraiment fait une querelle de pédans, et dont les invectives de collège ou les plaisanteries de salon l’ont si bien dénaturée, que la plupart des historiens de la littérature en ont méconnu l’importance. Heureusement qu’un autre homme veillait, qui avait aussi lui, comme La Motte-Houdard, débuté par courir la carrière du bel esprit, un ennemi particulier de Racine et de Boileau, le Cydias des Caractères, le berger normand des épigrammes de Rousseau, mais l’auteur aussi des Entretiens sur la pluralité des mondes et de l’Histoire des oracles, Fontenelle, en un mot, le vrai maître, avec Bayle, et le vrai précurseur des Voltaire et des Montesquieu.

Garat, Dominique-Joseph Garat, pauvre ministre, mais rhéteur élégant, a bien caractérisé, dans ses Mémoires sur la vie de M. Suard, le genre d’influence de Fontenelle, et joliment défini l’effet que produisirent, dans le temps de leur apparition, l’Histoire des Oracles et les Entretiens sur la pluralité des mondes :


La question si les oracles du paganisme avaient été rendus par les démons ou par les prêtres n’offrait par elle-même ni assez de doutes, ni assez d’intérêt à un philosophe pour engager Fontenelle à la traiter ; mais Van Dale, en la traitant en érudit, y avait jeté avec profusion les faits les plus importans de l’histoire entière du paganisme, et dans cet ouvrage d’un médecin hollandais, Fontenelle découvrit aisément les matériaux d’une histoire de l’esprit humain sous la double puissance