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chancelle alors : un rapport de l’exempt Meunier affirme que, depuis le mois de février 1750, elle est sous les yeux de la Mouret, femme du concierge de ce Chambord, que Maurice avait reçu en récompense de ses services, où il vivait dans une sorte de souveraineté féodale, investi de droits qu’on refusait aux princes du sang, gardé par un régiment de uhlans entretenus sur le pied de guerre, canons et drapeaux pris sur l’ennemi décorant la façade du château, avec des sentinelles à la porte de son appartement comme pour les rois, ses privilèges de haute et basse justice, ses jours de grand couvert, les représentations théâtrales où Mme de Pompadour tenait à honneur d’être invitée, où il attend Mlle de Sens avec une trôlée de dames de la cour. Elle céda sans doute, mais ne fut point éblouie, et, sitôt qu’elle put, refusant les présens du maréchal, alla rejoindre Favart qui très justement reconnut que tout était réparé, puisqu’il retrouvait en elle des sentimens dignes de lui. Être mari, être amant, comprendre qu’il n’y a point de faute là où il n’y a pas eu libre consentement, encore moins entraînement du cœur ou des sens, mais sacrifice douloureux, dans un de ces cas où la morale s’obscurcit, où l’on n’est plus séparé de la sublimité que par le martyre, une telle conduite n’a rien de ridicule et témoigne de quelque grandeur d’âme. Après avoir entendu son langage, examiné son attitude pendant la persécution, il n’est pas permis de nier cette flamme d’honneur et de probité qui lui inspirait tant de vaillance, et non moins rare s’affirmait sa générosité, lorsque, à la mort de Maurice, survenue le 30 novembre 1750, il écrivait cette note : « Je crois qu’il m’est permis de dire, sur la mort de cet illustre homme de guerre, ce que le père de notre théâtre moderne disait sur le cardinal de Richelieu :


Qu’on parle bien ou mal du fameux (maréchal),
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien.
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal ;
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien. »


Et peut-être aussi la conduite de Mme Favart, cette longue résistance, suivie d’une capitulation presque inévitable, sembleront-elles non point aussi magnifiques, mais plus humaines, plus touchantes même que ces vertus cornéliennes qui connaissent à peine l’hésitation, jamais la défaillance ni le remords.

Vingt-deux années de bonheur justifièrent cette sagesse. Rendus à l’exercice de leur art, appelés à toutes les fêtes de princes ou de particuliers, entourés d’aimables enfans et d’amis fidèles, Crébillon fils, Lourdet de Santerre, de la Place, Goldoni, Voisenon, qui charmaient leur intimité, les deux Favart marchent de succès en