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écrire, et nous avons d’elle de nombreux romans historiques et galans : — l’Histoire secrète de Bourgogne, l’Histoire de Marguerite de Valois, Gustave Vasa, l’Histoire de la duchesse de Bar ; — et des Contes de fées. Peu favorisée de la fortune, on la plaça, toute jeune encore, auprès de Mme de Guise, comme fille d’honneur, et quelques biographes racontent qu’elle attira, pour son coup d’essai, l’attention du dauphin, fils de Louis XIV. Mais ils la confondent avec une de ses cousines. Son aventure avec le marquis de Nesles paraît plus authentique. Le marquis voulait l’épouser, mais comme déjà Mlle de La Force n’était pas en fort bonne réputation, le mariage manqua. Désespéré, le marquis s’en allait se noyer, quand, « en arrachant ses habits pour se jeter à l’eau, il brisa un ruban que La Force lui avait donné sous prétexte de sa santé ; — c’est Madame qui parle — et aussitôt qu’il ne l’eut plus sur lui, il se trouva tout autre et très indifférent à l’égard de La Force. » Elle s’en consola en affichant une passion indécente pour le comédien Baron, et c’est elle que La Bruyère a peinte sous le nom de Césonie. C’est elle également que Voltaire a nichée dans un coin de sa Pucelle :


Hors de ses sens, de honte dépouillée,
Telle autrefois, d’une loge grillée,
Madame Audou, dont l’Amour prit le cœur,
Lorgnait Baron, cet immortel acteur,
D’un œil ardent dévorait sa figure,
Son beau maintien, ses gestes, sa parure,
Mêlait tout bas sa voix à ses accens
Et recevait l’amour par tous ses sens.


Mise ainsi tout à fait en vue, Mlle de La Force essaya d’en profiter pour faire ce qu’on appelle une fin, et elle jeta son dévolu sur un riche jeune homme, M. de Briou, fils d’un conseiller au parlement de Paris. Elle l’épousa. Mais le père, qui avait refusé son consentement, intervint, se plaignit, intenta une action en nullité de mariage, et finit par obtenir, le 16 juin 1689, un arrêt en vertu duquel Mme de Briou redevenait Mlle de La Force. La Fontaine, en petits vers galans, célébra ce retour d’une ancienne amie à la liberté :


Pleurez, citoyens de Paphos,
Jeux et ris, et tous leurs suppôts.
La Force est enfin condamnée.
Sur le fait de son hymenée
On vient de la tympaniser.
Elle n’a qu’à se disposer
À faire une amitié nouvelle ;
Que le ciel console la belle,
Et puisse-t-elle incessamment
Se pourvoir d’époux ou d’amant !