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longue accumulation de respect et de confiance du passé, au-dessus de lui la pyramide mystique de l’Église qui se perd dans le ciel ; comme le fonctionnaire a sur sa personne tout le rayonnement du dieu-État. Pour mesurer l’énergie du levier ecclésiastique, il faut l’étudier à son point d’appui, dans la petite cité épiscopale de Viviers.

Trois mille âmes : boutiquiers, artisans, employés, qui vivent autour de l’évêché, pour et par ces trois édifices, la cathédrale, le palais épiscopal, le grand séminaire. Les rues étroites et leurs humbles maisons se serrent au pied de l’acropole de rocher qui porte la cathédrale avec ses attenances. Le vieux vaisseau, d’un gothique flamboyant, ne renferme qu’un vaste chœur, presque sans nef. Il semble que l’architecte ait prévu la destination spéciale du monument, fait pour un chapitre de prêtres qui n’auraient pas de troupeau. Tout à Viviers donne l’impression d’une âme énorme, visible, logée dans un corps minuscule. Tout, dès les premiers pas qu’on y fait, reporte le visiteur en plein moyen âge féodal, au temps où les évêques-comtes étaient de puissans seigneurs, suzerains de la majeure partie du Vivarais. Autour de la cathédrale et du beffroi crénelé, les logemens des chanoines occupent le sommet de l’acropole. Les portes basses, percées d’un judas, sont écussonnées aux armes de lointains prédécesseurs. De leurs fenêtres et des terrasses désertes où ils déambulent, ces vieux prêtres ont une vue incomparable sur le Rhône, la plaine dauphinoise, les Alpes. Une chartreuse dans une citadelle, avec quelques serfs laïques en bas. Nul bruit, sauf le grondement du fleuve, nul écho de ce monde qu’on voit et saisit de haut, point de distractions, point de soucis extérieurs ; toute la pensée tendue, dans la solitude et le silence, vers un seul objet, vers le service et l’accroissement de cette église, qui est là seule, qui est tout. Je ne puis oublier la soirée que j’y passai, cherchant mon chemin à tâtons sur ces terrasses, dans les rues caillouteuses qui en descendent. Un quinquet unique pendait sous la voûte jetée entre la cathédrale et les maisons avoisinantes. Des ombres glissaient, un falot à la main, et disparaissaient dans l’entre-bâillement des portes canoniales. Des couples de robes noires émergeaient par instans des ténèbres, frôlant le parapet en surplomb sur la muraille de roche qui plonge dans le. vide. Les voix discrètes, étouffées, s’entretenaient de l’office du lendemain, des exercices de la retraite… Chaque été, la retraite ramène à Viviers les 600 prêtres du diocèse, trois séries successives de 200. Pendant une semaine, ils se retrempent dans l’esprit commun, ils reçoivent la direction unique et souveraine, ils la rapportent dans les plus lointains villages des montagnes.

Ils y rapportent un mot d’ordre de guerre, disent leurs