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exemple, où il y a aussi une cour d’assises. Quant aux autres personnages, ils n’existent pas plus que Mathis. L’idylle du gendarme et d’Annette est de la plus fade banalité, et les comparses viennent d’une imagerie d’Épinal. La mise en scène a été fort appréciée : M. Got mange pour de bon et parle la bouche pleine ; Mlle Reichenberg chante un lied et danse une valse ; les faïences sont authentiques, de véritables bûches font sans doute un vrai feu dans un poêle incontestable, où MM. Baillet, Garraud et Laugier se chauffent tour à tour et se brûlent le bout des doigts avec une exaspérante puérilité.

Le drame parisien du Gymnase ne vaut pas mieux que le mélodrame alsacien de la Comédie. Hélas ! faut-il encore raconter ce second crime et cette erreur à la fois judiciaire et théâtrale !

Trois personnages principaux : un dominicain, le père Vignal ; une grande dame, la comtesse de Véran, et une demi-mondaine, Rose Morgan. Le mari de la première était l’amant de la seconde. Il y a six mois, on l’a trouvé, une nuit, le front percé d’une balle. C’est la comtesse qui l’a tué ; elle s’en accuse au dominicain ; mais c’est Rose qui en est accusée en cour d’assises. Elle va même être condamnée, lorsque le moine paraît et, sans nommer la coupable, justifie l’innocente. Coup de théâtre et suspension d’audience, dont la comtesse profite pour demander un entretien particulier avec Rose, et lui faire des aveux complets. Dans un instant elle les renouvellera publiquement. Mais la généreuse hétaïre l’arrête. Tout à l’heure l’accent et le regard du moine l’ont elle-même bouleversée. Une soudaine révolution s’est accomplie en son âme. Innocente du crime, tant de péchés la font coupable, qu’elle acceptera la peine injuste comme une légitime expiation. Héroïsme inutile : les choses s’arrangent d’elles-mêmes. Le jury, troublé par la déposition du moine, acquitte Rose, et Mme de Véran peut garder son secret, que ne trahiront ni le confesseur, ni la pécheresse repentante.

Cette pièce ne contient ni étude de caractères, ni étude de mœurs. Dans l’éloge de son œuvre, qu’il a publié le lendemain de la première représentation, M. Daudet parle de la grande figure de moine qui domine le drame. La figure n’est pas grande et ne domine pas, Le père Vignal ne dit et ne fait rien par où il se distingue du prêtre le plus ordinaire. Au premier acte, quelque chose de sombre dans sa physionomie, de vibrant dans sa voix, le trouble de Rose en lui parlant, donnait à penser que l’action allait s’engager entre la courtisane tentée de Dieu et le religieux tenté du diable. La pièce était à faire ainsi ; mais elle était à craindre, et M. Daudet, avec raison je crois, en a eu peur ! Mais alors il ne reste de son dominicain qu’une silhouette, banale à la sacristie, emphatique à la barre. L’Église a été mieux représentée au Gymnase, ne fût-ce que dans