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été représentée. Je ne sais de quelle mauvaise chance le Gymnase est victime ou de quel mauvais goût ; mais depuis un an M. Koning nous impose un ordinaire dont il est temps de se plaindre. On n’entend plus chez lui que des balivernes, vulgaires mélodrames ou vaudevilles ineptes, et la peur nous prend au début d’une saison qui nous réserve peut-être encore des Monde où l’on flirte et des Bon docteur. La troupe d’ailleurs, hors de rares exceptions, est digne du répertoire. Ces dames sont habillées comme des princesses des Mille et une nuits et jouent comme des orphelines de pensionnat. De Mlles Demarsy et Darlaud, qui décidera laquelle a les plus somptueuses toilettes, le plus de bijoux, le plus de beauté, et le moins de talent ? Telles je me figure les deux sœurs de Cendrillon : « Moi, dit l’aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d’Angleterre. — Moi, dit la cadette, je n’aurai que ma jupe ordinaire, mais en récompense, je mettrai mon manteau à fleurs d’or et ma barrière de diamans, qui n’est pas des plus indifférentes. »

Et maintenant, puisse le public avoir pour le drame de M. Ernest Daudet autant de tendresse que l’auteur lui-même ! Puisse le Gymnase jouer cela longtemps, de peur qu’il ne joue quelque chose de pire !

Heureusement, voici une œuvre qui n’est point, il s’en faut, à dédaigner. La pièce de M. Victor Jannet, Mariage d’hier, est, si je puis ainsi dire, d’une excellente moyenne odéonienne, peut-être même au-dessus. Elle convient le mieux du monde à un second Théâtre-Français. Elle y a été accueillie selon son mérite. Conclut-elle, demandera-t-on d’abord, le sujet étant connu, pour ou contre le divorce ? Elle conclut pour une femme divorcée, ce qui, je crois, est plus prudent et plus juste, marquant d’ailleurs avec assez de force dramatique les suites très graves que peut avoir pour les enfans, ici pour une jeune fille, le divorce le plus excusable, le plus pardonnable même, de leur mère.

Nous sommes dans le grand monde, chez la princesse de Sauves. Nous y rencontrons le marquis et la marquise de Trêves, leur fils Paul et un ami à eux, M. de Savigny, divorcé et connu pour être l’amant d’une certaine Mme d’Albiac. Paul de Trêves nous apprend qu’il est amoureux et aimé d’une jeune fille charmante ; il ne l’a pas encore nommée à ses parens, mais tout à l’heure, ici, par les soins complaisans de la princesse, ils vont la voir. Elle paraît avec sa mère, Mme Mauclerc ; la présentation a lieu et la causerie s’engage entre les deux futures belles-mères. On vient à parler du divorce, et la marquise aussitôt de faire à cet égard la déclaration la plus intransigeante. La pauvre Mme Mauclerc se lève, et non sans dignité, mais non sans trouble, nous laisse entendre que le coup vient de l’atteindre. Divorcée elle-même, son premier mari, le père de Marthe, n’est autre que M. de Savigny.