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montrèrent soucieux ; ils eurent des paroles rares, des gestes vagues, inquiétans comme des menaces, lourds ensuite comme des coups de massue. La pensée de la mort entra dans la maison.

Attentif aux désirs de la malade, jaloux d’environner d’une douceur dernière les heures terribles, Paul la veillait sans la quitter, ne prenant nul repos. Il n’était plus question, maintenant, de projets. L’avenir, d’un noir d’abîme, s’était rapproché tout à coup, indissolublement lié à la tristesse présente. Sa voix ne trouvait plus le courage nécessaire aux paroles d’espérance. C’étaient de lentes veillées silencieuses, pendant lesquelles son cœur, enveloppé d’une nuit, s’enfonçait en une détresse croissante, dans une sensation de fin de choses. Mais cette monotonie de la douleur, un jour, fut interrompue par un nouvel émoi. Dans le regard de Marie, une prière passait, comme involontaire, par momens entrevue, flamme vite éteinte que suivait une désespérance infinie. Une lutte se livrait en elle, visiblement ; une souffrance incomprise emplissait, dans son visage plus pâle, ses yeux plus noirs. Était-ce le regret de la vie, l’immaîtrisable reproche de ceux qui partent à ceux qui demeurent ? Il semblait à Paul qu’un appel montât vers lui, l’appel de quelque soulagement, de quelque adoucissement, que lui seul pût apporter.

À ses pressantes questions, Marie secouait la tête avec un sourire triste. Mais toujours, l’amertume entrevue reparaissait dans le regard, revenue à la surface comme un flot trouble ; la prière prenait une insistance plus pénétrante. Et Paul, bien qu’il ne le voulut pas, bien qu’il s’efforçât de détourner son esprit de cette pensée, fut obligé de s’avouer que, dès le premier instant, il avait entendu la muette supplication de la malade. Il dut comprendre ; il dut voir, montant du fond obscur de l’être, la même jalousie dont il l’avait préservée naguère par le sacrifice de son travail, par son inaction. Il essaya de raisonner, se posa devant sa femme comme devant un problème ; il l’analysa comme une de leurs créations fictives, chercha en elle la marche de la passion littéraire ; et, de même qu’un romancier dont le but est fixé, il conforma les sentimens à son besoin, ainsi qu’une matière plastique, jusqu’à ce qu’il se fût rasséréné. Pourtant, de minute en minute, à mesure que s’échappait la vie, dans l’usure lente des organes, le désir de la mourante éclairait ses grands yeux tristes d’une clarté plus précise, avec une intensité plus haute, comme, de l’achèvement d’un brasier, monte plus éclatante la dernière flamme. Et, d’un coup, rompant l’inutile effort de son cerveau, toute la psychologie de la malade lui fut révélée. De même qu’elle lui eût, si un doute à ce sujet n’eût été indigne d’elle et de lui, demandé de garder