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point l’esclavage où personnellement il sera astreint. La question tout au moins n’est point aussi simple que Quinet nous la présente, et ce que j’en dis n’est que pour marquer une fois de plus que ces analogies, si séduisantes qu’elles soient, entre les choses d’histoire naturelle et les choses de sociologie, clochent toujours par quelque endroit. En somme, les différences entre les animaux et l’homme seront toujours plus nombreuses que leurs ressemblances, et toute conclusion tirée des uns pour être appliquée à l’autre sera toujours très hasardée. Le vieux Buffon, avec la ligne de démarcation très forte qu’il trace et qu’il maintient entre le règne animal et le règne humain, reste encore le plus raisonnable. Mais on voit nonobstant quelles qualités d’esprit toutes nouvelles l’histoire naturelle avait données à Quinet, et quel véritable renouvellement de toute son intelligence s’était produit. Il voyait de plus haut, il voyait plus loin ; il avait pris à la science quelque chose de sa sérénité, de sa liberté aussi ; il en était moins asservi à certains préjugés d’école, ou de parti, ou personnels. Il a cité une magnifique et profonde parole de Marc-Aurèle : « Vois, examine de près, comme tous les êtres se transforment les uns dans les autres. Exerce à cela constamment ta pensée. Rien n’agrandit davantage l’esprit, οὐδὲν γὰρ οὕτω μεγαλοφροσύνης μοιητιϰὸν. » Il sentait bien que Marc-Aurèle avait dit très juste, d’une façon générale, mais particulièrement pour Edgar Quinet, et qu’Edgar Quinet devait être très particulièrement reconnaissant à la science, « cette ouvrière des grandes pensées, » et qui nous affranchit des petites.


V

Les dernières conclusions d’Edgar Quinet, telles qu’on peut les tirer de la République, conditions de la régénération de la France, et de l’Esprit nouveau, sont confuses et mal assurées. Comme tous les penseurs, il n’a pas eu assez d’une vie, pourtant assez longue, pour aboutira une doctrine définitive, n’y ayant que ceux qui pensent peu à qui une existence suffise pour conclure. Lui, surtout, se transformait au moment où il approchait du terme, et le temps lui a manqué pour achever son dernier stade intellectuel. Tout pénétré d’esprit théologique jusqu’en 1865, touché et assez profondément atteint par l’esprit scientifique à la date de 1869, il devait mourir, en 1874, sur une pensée positiviste un peu vague et comme flottante qui n’avait pas pris pour lui toute consistance et solidité. Dans la Révolution, il disait encore : — « Les savans ont aussi leur chimère ; ils se figurent que la science remplacera prochainement la religion. C’est mal connaître l’homme. La religion