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se manifestent ou s’annoncent dans la nuptialité et dans la natalité françaises. Cette cause spéciale de dépérissement va sévir pendant quelques années ; puis, forcément, elle préparera un autre minimum pour les années 1910 à 1920, et ainsi de suite… Triste périodicité ! Cycle fatal qui, quatre ou cinq fois par siècle, condamne la patrie à voir ses plaies se rouvrir ! Ces inévitables rééditions du même mal n’ont été nulle part mieux mises en lumière qu’en Suède. Il y a eu, là aussi, une année terrible, l’année 1809 ; et les ravages démographiques de cette crise lointaine vont se répétant de quart de siècle en quart de siècle, sauf à s’adoucir un peu chaque fois, comme fait l’écho. Un statisticien italien, M. Perozzo, a ingénieusement matérialisé ce phénomène de propagation intermittente, et l’on peut dire que son « stéréogramme » le fait toucher du doigt. C’est une sorte de montagne de plâtre, dont les hauts et les bas reproduisent toute l’histoire de la population suédoise ; et des ravins équidistans y soulignent les pertes successives dont l’origine remonte à 1809. Voilà une éloquente leçon de choses ! Rien ne rend si sensible l’étroite solidarité des générations entre elles : — « À un moment quelconque, dit M. Cheysson, les faits que l’on constate sont la résultante des causes contemporaines, mais aussi de tous les mouvemens antérieurs, de toutes ces ondes successives qui s’entre-croisent, se rencontrent ou s’atténuent, se combinent en un mot de mille façons et qui, par les répercussions les plus délicates et souvent les plus inaperçues, transmettent l’influence et le poids du passé aux hommes et aux choses du présent. »

Mais si le passé a sa part de responsabilité dans les perturbations actuelles, le présent a aussi la sienne, et ce n’est point à tort qu’en présence des douloureuses surprises de l’hiver dernier, la conscience française a comme tressailli.

Il faut bien le dire : la stérilité qui nous appauvrit est, très généralement, une stérilité préméditée. Les Français n’ont si peu d’enfans que parce que telle est la volonté bien arrêtée du plus grand nombre et que la fin, à leurs yeux, justifie les moyens, même les moins avouables. Il fut un temps où la gloire et l’orgueil des familles se mesuraient au nombre des rejetons. Là où la terre encore inculte appelait de tous côtés le soc de la charrue, les mères se trouvaient d’accord avec les pères pour mener bon train l’œuvre du peuplement. Il n’en est plus ainsi chez nous : la matrem filiorum lœtantem du psalmiste devient une exception et, au village comme à la ville, on se met vite à plaindre la femme à qui ont été [1]

  1. Les deux années 1870 et 1871 réunies accusent 145,000 naissances de moins et 660,500 décès de plus que les deux années 1869 et 1872 réunies.