tribunaux décident de l’indemnité. On voit que, sur mer, le rôle de bon Samaritain n’est pas à dédaigner.
Prenant notre parti de la prolongation de navigation qu’introduira cette escale non prévue dans le programme, nous sommes tout disposés le lendemain matin, lorsque le Tafna entre dans l’estuaire, à admirer ces rives du Tage célébrées, autant qu’il m’en souvient, dans une ou deux romances plaintives. Et cette fois encore, les romances ont raison : le fleuve, large d’environ deux kilomètres à Lisbonne même, offre sur ses bords une succession de petits mamelons alternativement verts et terreux, accidentés, comme la vie de don Quichotte, d’une infinité de moulins à vent. C’est fort joli.
Nous parcourons la ville, très intéressante, où l’exposition, sur une certaine place, d’une immense carte d’Afrique figurant les territoires portugais, accrochée à la façade d’un monument public au-dessous de cette inscription : Souscription nationale, rappelle les récens démêlés avec l’Angleterre. — Dans la soirée, après des courses dans tous les sens et des stations dans plusieurs cafés, nous assistons dans un joli petit théâtre situé, je crois, avenue de la Liberté, aux derniers tableaux d’une revue traduite du français, paroles et musique, avec seulement quelques remaniemens pour l’adaptation aux choses de Lisbonne. La salle est agréablement décorée, lumineuse ; le public bien composé. L’actrice, qui me paraît être le principal rôle, une grande et jolie personne au profil aquilin, à l’œil plein de feu, avec la taille cambrée et l’allure piaffante d’une Parisienne pur sang, chante quelques couplets avec beaucoup d’expression. Ainsi modulé, le portugais, naturellement dépourvu d’énergie, plein de sons troubles, mélange mal réussi d’espagnol et de français, affreusement vulgaire quand il n’est pas parlé avec une grande distinction, devient vibrant, fier, captivant. C’est sur cette impression que je quitte la ville du Camoëns, rappelé à mon souvenir par quelque enchaînement d’idées, à l’audition de la cantatrice.
Nous approchons des îles du Cap-Vert, notre prochaine station. La chaleur, tout en restant supportable, commence à se faire sentir et ira chaque jour grandissant jusqu’à l’accablement mortel qui nous attend dans la cuve intertropicale. Pendant que le soleil dans sa marche figurée monte sur l’écliptique, nous voguons à sa rencontre, bien plus rapides que lui, car là où il met quatre jours pour parcourir un degré de la sphère, nous employons sept heures à peine ; appréciation naturellement illusoire quant à la vitesse vraie, mais réelle pour la mesure de la chaleur. Depuis longtemps, la mer d’ardoise a fait place à la mer indigo. Rien de médiocre,