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une ville qui plaît. Les magasins aux brillantes devantures abondent, les habitations dont l’aspect annonce le bien-être dominent. Enfin, les gens ont cette gaîté d’allures et de costume qui est l’attrait des villes latines. Et pour employer une expression qui revient à chaque instant dans la conversation des hommes du pays, Valparaiso est sympathique. Car, dans l’Amérique méridionale, on est ou on n’est pas simpatico, et la question est jugée.

Par exemple, ce qui est tout à fait antipathique, c’est l’absence de numéraire en ce moment. Le billet de banque unité, le peso (valeur d’émission 5 francs), est tombé à 2 francs et baisse tous les jours. Il sert à merveille pour un paiement de cette somme ou de multiples de cette somme, mais on ne peut se procurer de monnaie pour les valeurs divisionnaires. Dans toutes les boutiques, on déchiffre ce placard : No hay sencillo, pas de billon. On trouve bien encore quelques pièces de vingt sous chiliennes, mais c’est la limite de divisibilité que comporte la situation. On fait usage de jetons de tramway en caoutchouc durci, de timbres-poste, etc. Dans les ports de l’insurrection, où la disette de numéraire augmente, circulent des cartons revêtus de la signature d’un négociant, d’un particulier quelconque inspirant suffisamment confiance à ses contemporains.

Les rues sont très animées. La plupart des femmes portent la mante, la fameuse mante. C’est l’espèce de capote noire dont le beau sexe s’enveloppe étroitement les épaules et la tête, ne laissant voir qu’un cadre restreint du visage, des yeux au menton. Au Pérou, il n’y a pas très longtemps, la fermeture était encore plus hermétique, et on ne découvrait qu’un « regard de feu. » — En somme, avec cette coiffe, on est jolie malgré et non parce que. Elle est de toute nécessité à l’église. Les dames de la colonie européenne se conforment à l’usage et se montrent aux offices avec la mante (la mante religieuse).

Un bataillon qui débouche, musique en tête. C’est un air français, En revenant de la revue, convenablement exécuté, mais avec un redoutable fracas. C’est à croire que les instrumens reçoivent ici une nouvelle trempe destinée à les rendre plus éclatans. — Des officiers, la poitrine bombée, le sabre au clair, à cheval, éveillant la silhouette du brav’ général, défilent joyeusement dans le roulement d’un cortège admiratif d’enfans, de bonnes d’enfans, tout comme en France et plus qu’en France. — Ce sont quatre marins déserteurs de fait, congressistes d’intention, qu’on va fusiller.

Car, à chaque pas, on revient aux choses de la guerre. Les journaux en sont pleins naturellement. On peut dire que leur ton est monté à la hauteur des circonstances. Voici en quels termes le Boletin del dia de Valparaiso du dimanche 14 mai 1891, n° 132,