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n’y avait point diminué, qu’il n’était point un Indien qui ne cherchât à thésauriser, et que la plus grande préoccupation des princes indigènes était d’accumuler dans leurs coures des masses énormes d’espèces monnayées. L’Indo-Chine commence aussi à offrir un débouché important ; des populations qui ne connaissaient d’autre monnaie que les cauris commencent à se servir de l’argent et à l’apprécier. La Chine n’a point encore de véritable monnaie, parce que le gouvernement impérial se refuse à en fabriquer. Il y a donc dans l’extrême Orient 600 millions d’hommes pour qui l’usage de la monnaie d’argent sera le premier pas dans la civilisation. Ne faudra-t-il pas aussi initier à l’usage de la monnaie ces populations africaines que nous prétendons arracher à leur barbarie native ? C’est de ce côté que viendra graduellement la réhabilitation de l’argent. Un sénateur des États-Unis, M. Beck, fatigué de discussions qui se renouvelaient tous les ans, sans aboutir, s’écriait un jour, en plein sénat : « Pendant que nous y sommes, nous devrions demander à Bismarck une recette pour nous débarrasser de notre monnaie d’argent, » Qui peut dire que ce ne sont pas les nègres qui rendront ce service aux Américains ?

Quant à ceux qui veulent chercher dans la question monétaire la clé de la dépression de l’agriculture et de l’industrie, qu’ils veulent bien réfléchir aux milliards d’or que les banques et les trésoreries de tous les grands pays entassent avec un soin jaloux ; qu’ils se disent que ces milliards de métal jaune donneraient un grand essor aux affaires s’ils restaient dans la circulation, au lieu d’être emmagasinés pour pourvoir à des guerres dont l’expectative pèse lourdement sur l’Europe entière. Qu’ils songent surtout à l’effroyable déperdition de travail et de richesse résultant de la présence sous les drapeaux de l’universalité de la jeunesse, qui, au lieu de produire, obère les États et les familles. Faut-il chercher d’autre cause que ce gaspillage insensé de richesses à la diminution des fortunes, et au resserrement de dépenses, et, par une conséquence forcée, à la baisse de tout ce qui n’est pas indispensable à l’existence ?


CUCHEVAL-CLARIGNY.