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initiative ; le droit de trafic appartenait à des favoris ; l’irritation était générale. L’Espagne elle-même donna des chefs aux mécontens en déportant au Venezuela des conspirateurs de la métropole, accusés d’avoir voulu attenter, en 1756, aux jours de Charles IV. Accueillis avec honneur dans un pays mûr pour l’insurrection et que devaient surexciter plus tard les événemens de la Révolution française, ces exilés politiques recrutèrent de vaillans adeptes : Miranda, puis Bolivar, qui rêvait déjouer, dans l’Amérique du Sud, le rôle de Washington aux États-Unis. Commencée en 1811, la lutte dura dix années, avec des alternatives de revers et de succès. Victorieux à Boyaca et à Tacarigua, Bolivar eut la gloire d’affranchir sa patrie. Appelé ensuite par les colons soulevés de l’Equateur et du Pérou, il n’hésita pas à entamer une nouvelle campagne. La bataille de Pichincha affranchit l’Equateur ; celle d’Ayacucho délivra le Pérou, et Bolivar, proclamé « père de la patrie, » se vit offrir par les républiques reconnaissantes la présidence à vie. Il la refusa, rentra dans la vie privée, et revint mourir dans sa patrie le 17 décembre 1830, laissant son nom à la Bolivie, formée des provinces détachées du Haut-Pérou, et la mémoire de ses services à trois grands États de l’Amérique équatoriale.

Le Venezuela se divise en trois zones distinctes : la zone agricole, la zone des pâturages et la zone forestière, de beaucoup la plus étendue. La première de ces zones, celle du littoral, renferme la presque totalité des plantations de cannes à sucre, café, cacao et produits tropicaux. Celle des pâturages, que recouvrent de gigantesques graminées, nourrit de nombreux troupeaux ; mais l’agriculture l’envahit peu à peu. La zone forestière est riche en plantations naturelles de caoutchouc, de la fève de Tonka, de jubée, vanille, qu’exploitent les habitans des territoires du Haut Orénoque, des Amazones et de Caùra. Telle est l’abondance des productions sans culture de cette zone qu’elle suffirait à enrichir plusieurs millions d’habitans.

On retrouve ici tous les climats, depuis celui des neiges perpétuelles jusqu’à celui des plaines équatoriales. Les fortes chaleurs y règnent d’avril à octobre, et cependant la longévité est plus grande au Venezuela que dans nos régions d’Europe ; on y compte, en moyenne, un centenaire par 10,000 habitans, alors que l’Italie et l’Espagne, les deux pays les plus favorisés de l’ancien monde sous ce rapport, n’en ont qu’un par 68,000 habitans et la France un par 100,000. La température, très élevée sur le littoral, dont certaines parties plates sont malsaines, se maintient à une moyenne printanière dans les hautes vallées ; dans les Andes, les variations sont brusques ; on y passe sans transition de l’hiver à l’été ; la