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Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/421

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Alejandro Ybarra commandait, à Valencia, les troupes de Palacio. Il était marié, depuis peu, à miss Russell, de Boston, fille du ministre des États-Unis au Venezuela et qu’une étroite amitié unissait à Mme Crespo. Cette jeune femme tremblait pour les jours de son mari ; elle suppliait Crespo de le sauver des mains de ses soldats, au cas où la ville tomberait en son pouvoir. Crespo avait promis de faire de son mieux, mais il laissait entendre que les nègres et les Indiens commandés par son lieutenant Mora n’étaient pas gens à faire quartier et qu’Ybarra courrait de grands risques. Il ajournait donc le moment de donner l’assaut et, sous main, faisait presser Ybarra de se mettre à l’abri.

À ce moment même la nouvelle parvenait au quartier-général de Crespo que l’État Falcon, travaillé par ses émissaires et ceux de Rojas, se déclarait en sa faveur, que la ville de Coro, peuplée de 10,000 habitans, et son port de la Vêla étaient aux mains de l’insurrection, et enfin que son fils, prisonnier de Palacio, avait réussi à s’évader et à gagner la Trinidad. En revanche, il apprenait qu’un détachement de ses volontaires, imprudemment engagé dans un conflit inégal avec les troupes de Palacio, venait d’être taillé en pièces au sud de Los Tequès. Armés de machétés, ils avaient abordé un bataillon pourvu de fusils à tir rapide et, après un combat acharné de toute une journée, avaient dû battre en retraite, laissant sur le terrain plus de la moitié de leur effectif ; mais ce qui était plus grave, il recevait avis d’une tentative de rapprochement de Palacio avec les partisans de Guzman Blanco.

Bien qu’absent du Venezuela, l’ex-dictateur y comptait, avons-nous dit, de nombreux adhérens ; bien qu’en apparence désintéressé des événemens, son nom pesait d’un grand poids. On se souvenait encore du temps où un mot de lui renversait ou consolidait le parti au pouvoir, élevait et déposait les présidens. L’intervention de Guzman Blanco pouvait singulièrement modifier la situation, mais abdiquerait-il ses griefs mal dissimulés contre l’entourage de Palacio et, d’autre part, la tentative de rapprochement faite par ce dernier n’aurait-elle pas pour résultat de lui aliéner les sympathies de ses partisans, victimes désignées de l’alliance ? Fut-ce en conséquence de ce revirement inattendu ou à la suggestion de Palacio lui-même, désireux d’entrer, à tout événement, en négociations avec Crespo, que Sébastiano Casañas, commandant en chef des forces gouvernementales, fit faire directement à Crespo des propositions d’accommodement ? Quoi qu’il en soit, Crespo répondit en posant pour conditions la mise en liberté des juges incarcérés, le rappel des membres exilés du congrès et l’élection immédiate d’un nouveau président. Sur ce terrain on ne