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le choral huguenot se transfigure et toutes les harpes du ciel l’accompagnent. Voici plus que la certitude et l’orgueil, voici le délire et l’extase, ces suprêmes secours que Dieu peut faire attendre, mais qu’il ne refuse jamais aux martyrs d’aucune foi.


III

Nous avons étudié l’héroïsme dans la religion, dans la nature, dans l’amour et dans la guerre. Il nous reste à l’étudier en lui-même, en dehors ou au-dessus des qualités diverses qui ne sont, pour ainsi dire, que des accidens attachés à son être. Il y a des âmes héroïques par leur constitution même et leur substance, des âmes, comme a dit M. Cherbuliez, « qui se contiennent, se possèdent et se révèlent moins par leur passion que par la résistance qu’elles lui opposent et l’autorité qu’elles ont sur elles-mêmes. » Résistance à la passion et à la douleur, possession et maîtrise de soi, voilà tout l’être moral de Beethoven, voilà tout son génie, voilà comment il est héroïque et par son âme et par son œuvre.

Par son âme d’abord : on sait tout ce qu’il eut à souffrir et comment il porta la souffrance.

Quant à son génie, s’il y avait un mot qui suffit à le définir, ce serait justement le mot d’héroïsme : il sied presque à tous les chefs-d’œuvre du maître. Des deux seules symphonies qu’il ait intitulées, Beethoven a dédié l’une à la nature, l’autre à l’âme humaine regardée dans sa force et dans sa grandeur. Héroïque aussi, peut-être encore plus que l’Héroïque elle-même, la symphonie en ut mineur ; héroïque, le finale de la symphonie en la. Héroïques, les ouvertures : Coriolan, Egmont, Léonore, et les concertos pour piano, le cinquième surtout, que Beethoven appelait, dit-on, l’Empereur ; héroïques, enfin, les sonates, au moins les plus belles : la Pathétique, la Juliette, l’Appassionata, l’Op. 111 ; la sonate dédiée à Kreutzer et la sonate en ut mineur, toutes deux pour piano et violon. Qui donc un jour parlait des airs que bourdonnait la vie aux oreilles de Beethoven ? La vie, hélas ! n’eut pour lui que des chants de douleur ; il y a répondu par des chants de courage. Si, comme on l’a très bien dit[1], l’art tout entier de la musique repose sur le rapport entre le son et la force de l’âme, entre le beau son et la belle force ou la belle âme, Beethoven est le plus grand des musiciens, parce que ce rapport est chez lui plus étroit que chez tout autre. La musique de Beethoven, comme la sculpture de Michel-Ange ou la poésie de Corneille, c’est avant tout le

  1. Psychologie de la musique, par M. Lévêque.