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La marche funèbre de la symphonie héroïque est, je crois, la plus belle que Beethoven ou tout autre ait écrite. Celle de Chopin est plus élégiaque ; celle d’Halévy, dans la Juive, plus sinistre ; celle de M. Ambroise Thomas pour Ophélie a quelque chose de virginal ; celle de Berlioz pour Hamlet est pittoresque et imitative, au point qu’on y tire le canon. Mais de toutes, voici la plus grandiose. Il est une encore, de Beethoven aussi (12e sonate pour piano, op. 26), écrite également sulla morte d’un eroe, superbe et retentissante d’accords, mais beaucoup moins développée, beaucoup moins épique que l’adagio de notre symphonie. Ce qui donne à la marche de l’Héroïque son incomparable grandeur, c’est d’abord la beauté de l’idée mélodique elle-même ; c’est aussi une particularité de rythme : à la première moitié de chaque mesure, c’est l’arrêt, la défaillance qui coupe, de stations et comme de chutes douloureuses, la route menant à l’illustre tombeau. En dépit de quelques traits descriptifs : roulemens de tambour ou décharges de mousqueterie, ici encore l’inspiration de Beethoven est avant tout morale. À cet appareil de deuil, à « ces tristes représentations, » comme dit Bossuet, il mêle ce qu’y mêlait aussi le grand orateur : la pensée de notre néant et celle de notre éternité. La délicieuse phrase en majeur, cette phrase de consolation, avec son accompagnement perlé, ses pures sonorités de flûte, ouvre le ciel à l’âme du héros. Plus loin, que sort-il de la fugue éclatante, de la mêlée où retentit un dernier écho des combats ? Une voix plaintive, quelques notes désolées seulement, pour nous rappeler que « rien ne manque dans tous ces honneurs, que celui à qui on les rend. » Puis une immense acclamation s’élève, qui semble « vouloir porter jusqu’au ciel le magnifique témoignage de notre néant ; » mais elle retombe aussitôt. Alors toute cette superbe douleur s’humilie, et le thème revient brisé, trébuchant à chaque note et comme à chaque pierre du lugubre chemin. Quelle fin qu’une fin pareille ! Quelle originalité dans ces arabesques funèbres, quelle fantaisie dans l’improvisation éperdue des suprêmes adieux ! Les notes tombent une à une comme des larmes, et le dernier accord retentit, puis s’éteint et meurt lui-même, triste comme le mot de je ne sais quel grand historien devant une grande sépulture : Que la mort est donc chose morte !

Mais Beethoven va plus loin que la mort, et la symphonie héroïque, comme la symphonie en ut mineur, comme l’ouverture d’Egmont ou celle de Léonore, s’achève en pleine vie, en pleine gloire. Rien de plus inattendu que le début du finale. Après un trait de violons en avalanche, arrêté net sur un accord de septième, un thème commence ; à peine un thème, plutôt une simple basse, faite