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la grammaire, ouvrir le grand livre de la littérature hindoue. Et, pourtant, ainsi que le disait M. Renan au lendemain de la mort d'Eugène Burnouf, quelque grandes qu'aient été ses découvertes, il fut supérieur à ses travaux. Son plus grand mérite a consisté en un dévoûment absolu à la science, qui l'a porté à se borner à l'œuvre la plus humble et la plus utile, à des recherches minutieuses et à des publications de textes qui ont ouvert la voie aux travaux des autres. Il a été le modèle parfait du savant qui s'efface pour laisser parler les faits, mais qui sait les faire parler et qui en voit les conséquences.

Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter les yeux sur les introductions qu'il a mises en tête du Bhâgavata-Purana, et qui sont des modèles de rigueur, de clarté et de pénétration. Rien n'est aride, en général, comme les discussions de textes et de manusfrits ; Eugène Burnouf a su leur donner un intérêt puissant et tirer des démonstrations les plus minutieuses de grandes lumières pour l'histoire de l'esprit humain. L'introduction au tome II, qui est consacrée à l'étude des légendes relatives au déluge, est un chef-d'œuvre ; il y a si bien marqué la vraie relation des traditions des difïérens peuples sur cette matière, que l'on peut dire qu'il a devancé la découverte du récit chaldéen du déluge, et tout cela est déduit clairement, simplement, sans phrases et sans aucune trace de préoccupation personnelle.

Les grandes œuvres d'Eugène Burnouf, l’Essai sur le pâli, le Commentaire sur le Yaçna, qui nous a révélé le zend, la langue des écrits sacrés de Zoroastre, l’Introduction à l’histoire du bouddhisme indien, se distinguent toutes par les mêmes qualités. On y chercherait en vain, sauf dans de rares échappées, des vues d'ensemble ou des développemens littéraires qu'il s'est toujours interdits ; mais on y sent, d'un bout à l'autre, l'effort soutenu d'une pensée qui domine son sujet et qui va toujours droit au but, s'attaquant à toutes les difficultés et ne les quittant qu'après les avoir résolues. En agissant ainsi, Eugène Burnouf a imprimé aux études indiennes une direction dont elles n'ont plus eu à s'écarter, et il s'est assuré un renom impérissable.

I.

Voilà l'homme que vient de nous livrer tout entier, dans un sentiment de piété envers sa mémoire, sa fille aînée. Mme Léopold Delisle, en tirant de sa correspondance, pour les publier, un choix de lettres adressées à sa famille ou à ses amis.

Les divisions de ce volume sont marquées par les étapes de