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prétendue philosophie, mais fondée sur l’étude la plus patiente et a plus attentive des détails.

« L'œuvre scientifique, a dit M. Renan, dans cette page immortelle qu’il a consacrée à la mémoire d’Eugène Burnouf, renferme deux fonctions bien distinctes : le génie de la découverte, le travail des recherches originales, et l’art de les rendre accessibles au public. Ces deux rôles ne peuvent être bien remplis que par la même personne. La science se trouve presque toujours mal des interprètes qui veulent parler pour elle sans connaître sa méthode et ses procédés. Par un rare bonheur, Eugène Burnouf réunissait ces deux aptitudes presque opposées ; mais des riches dons de sa nature, il préféra le plus sévère et négligea le plus brillant. » — Il semble qu’en écrivant ces lignes, presque au début de sa carrière, M. Renan ait voulu tracer d’avance le double but qu’il proposait à son activité scientifique. Néanmoins, malgré l’éclat incomparable d’écrits qui l’ont placé au premier rang des hommes de son siècle, il est permis de croire qu’il a toujours gardé une secrète prédilection pour la partie la plus obscure de son œuvre, mais qu’il ne considérait ni comme la moins utile ni comme la moins durable ; la pensée d’Eugène Burnouf était son entretien favori et, dans cette petite salle du Collège de France qui les a vus assis à la même place, il aimait chaque année, au début de ses leçons, évoquer le souvenir du savant illustre dont le buste semblait présider à son enseignement.

À la fin de son séjour en Angleterre, Burnouf écrivait à sa femme : « La récolte que j’ai faite ici estd’une grande importance. Elle formera une addition très méritoire à mon travail, aux yeux de l’Allemagne, bien entendu ; car pour la France et l’Angleterre, il est fort indifférent que j’enfile des paroles ou des mots zends. » Il se trompait. Il n’était pas indifférent pour la France qu’il eût dépensé sa vie à ressusciter, à force de patience et de travail, et à reconquérir mot après mot l’ancienne langue des livres sacrés de la Perse. Ses recherches si exactes portaient plus loin que la religion de Zoroastre, plus loin que le bouddhisme indien ; elles portaient sur la manière même dont il convient d’étudier et de traiter les textes anciens. Il a prouvé, par les exemples les plus concluans, que c’était par l’étude minutieuse des détails qu’on pouvait arriver à des vues d’ensemble, et qu’il fallait chercher, dans la comparaison des manuscrits et de leurs variantes et dans l’étude des lois philologiques qu’elle nous révèle, l’intelligence de ces grands monumens que l’antiquité nous a légués. Cette méthode, il l’a appliquée à tous les objets sur lesquels ont porté ses recherches, avec une rigueur qui a exercé sur la direction des études orientales une influence dont l’effet s’est fait sentir dans