Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les bornes de la justice, et il n’hésita pas à se joindre à ceux qui tentèrent de l’endiguer, quand de nouvelles exactions fiscales et la mauvaise conduite de la guerre de Flandre produisirent en 1314 une explosion universelle de mécontentement. La noblesse prit la tête du mouvement ; celle de Bourgogne s’unit au clergé et aux communes pour obliger le roi à renoncer à ses projets d’impôts. Son exemple fut bientôt suivi par les nobles de Champagne et de Picardie, au nombre desquels on vit figurer Joinville. Philippe dut céder ; il suspendit la perception des subsides, et promit que ses monnaies seraient désormais de titre égal aux monnaies de saint Louis. Les ligues ne trouvèrent point la satisfaction suffisante ; elles se confédérèrent et décidèrent de se former en association, gouvernée par une commission permanente avec une assemblée de représentans qui devait se réunir tous les ans à Dijon. Mais Philippe le Bel mourut sur ces entrefaites, et son successeur, Louis X, ayant donné satisfaction à la ligue des nobles de Champagne, ceux-ci, qui se trouvaient être ses vassaux en même temps que ses sujets, rentrèrent dans l’obéissance.

Joinville avait dû se sentir mal à l’aise dans le rôle de rebelle. D’ailleurs n’était-ce pas au nouveau roi qu’il avait naguère dédié son livre ? Et ces concessions que Louis Hutin faisait aux nobles ligués, n’était-ce pas une promesse de retour aux erremens de son grand aïeul que le sénéchal lui avait proposé pour modèle ? Aussi quelques jours à peine après l’accommodement, Jean lui écrivait une lettre empreinte du plus entier dévoûment. Il y faisait lui-même ressortir l’attachement qu’il portait en toute chose aux anciens usages. « Sire, lui disait-il, qu’il ne vous déplaise de ce que, au premier mot de cette lettre, je ne vous ai appelé que bon seigneur ; car je n’ai pas fait autrement avec mes seigneurs les autres rois qui ont été avant vous.» Cette fidélité aux vieilles coutumes ne montre-t-elle pas que, même en se liguant avec les autres nobles contre les abus du pouvoir royal, Joinville se conformait encore à la règle constante de sa vie, au devoir ? N’était-ce pas un devoir en effet que de résister aux innovations dangereuses du prince qui rompait avec les traditions de saint Louis ? Parmi les seigneurs ligués, il y en avait sans doute beaucoup qui n’obéissaient qu’à un sentiment d’ambition personnelle ou d’impatience contre l’autorité souveraine. Ceux-ci crurent bientôt retrouver l’occasion de secouer le joug d’une royauté devenue trop puissante à leur gré. Pour la cinquième fois, Jean allait voir la couronne changer de maître ; pour la première fois, après les cinq jours d’existence du petit roi Jean Ier, l’application de ce qu’on a appelé la loi salique fit monter sur le trône non la sœur du défunt,