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quand cette partie qu’ils appellent composition est parfaite, mais il me semble que toutes peuvent se rapporter à ces trois choses : l’ordre, la liaison ou la suite, et le nombre. L’ordre ne range pas seulement les mots selon les règles de la grammaire, il dispose les matières, donne la place aux raisons, selon qu’elles sont ou plus fortes ou plus faibles… La liaison unit toutes les parties du discours, en forme un corps agréable, et fait que celui qui lit ou qui écoute, étant conduit d’un point à un autre par une méthode facile, imprime si parfaitement les choses dans sa mémoire qu’elles n’en peuvent plus échapper… Le nombre chatouille les oreilles par la cadence agréable des périodes… » Si l’on ne saurait, je crois, mieux dire, ni mieux caractériser ce que Malherbe a prétendu faire, ce que même il a fait, on ne saurait non plus imposer plus résolument à la poésie les qualités qui sont celles du discours. On ne demande pas encore aux vers d’être beaux comme de la belle prose ; mais on exige déjà d’une Ode qu’elle soit « construite » comme un Sermon.

Une transformation de la langue en est naturellement résultée. Devenant plus oratoire, il a fallu que la langue devînt plus abstraite, partant plus générale, et partant plus conforme ou plus analogue à celle de tout le monde. afin d’être compris de l’un à l’autre bout de la France, il a fallu que le vocabulaire de la cour se dégasconnât, comme disait Malherbe, ou qu’il s’épurât de tout ce qu’il pouvait encore contenir de provincialismes, d’italianismes, d’hispanismes… et de pédantisme. Ronsard avait précisément enseigné le contraire. En revanche, on remarquera que la leçon de Malherbe est déjà celle de Buffon. Ce n’est point de propos délibéré qu’il tend ni qu’il atteint à la noblesse du style, — lui qui se vante que ses maîtres de langue sont les crocheteurs du Port-au-Foin, — mais c’est qu’en devenant plus généraux, devenant aussi ce que les logiciens appellent moins « compréhensifs, » les mots se dépouillent eux-mêmes de leurs particularités d’origine. J’en aurais long à dire sur ce point, si je voulais insister, et que c’en fût ici le lieu. Mais sans doute on comprend de reste que, si ce vocabulaire est moins apte à traduire les émotions personnelles, — qui ne sont personnelles qu’autant qu’elles ont quelque chose d’unique, — il est infiniment plus apte à l’expression des idées générales. C’est ce qu’il faut dire aussi de la substitution de la syntaxe directe ou analytique, dans la langue de Malherbe, à la syntaxe encore synthétique, et violemment inversée de Ronsard. On n’écrit plus désormais pour quelques-uns, mais pour tout le monde ; si le poète lyrique pouvait prétendre à se séparer et à s’isoler du a rude populaire, » l’orateur ne le peut pas ; et ainsi le changement de la