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l’on discutât plus volontiers dans les assemblées qui se tenaient chez Conrart, et, quand Richelieu fondera l’Académie, la principale occupation des académiciens « sera de donner des règles certaines à notre langue, et de travailler à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. » Traducteurs, grammairiens, critiques ou rhéteurs, le théâtre, — genre commun, s’il en fut, dont l’existence même dépend de la bonne volonté du public, — achèvera ce qu’ils ont commencé. Et le Discours de la Méthode enfin, à son tour, paraîtra, non point du tout, comme on l’a dit, pour inaugurer l’empire de la raison dans la littérature, mais seulement pour le consacrer, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, ou, si l’on veut, pour fonder en logique l’utilité sociale de l’éloquence et de la poésie. Pour résister à cette espèce de pression des circonstances, Malherbe n’avait ni l’humeur, ni surtout le génie qu’il fallait ; et ainsi, bien loin de nous étonner qu’étant d’ailleurs plutôt médiocre, il ait exercé de son temps une aussi grande influence, au contraire, c’est sa médiocrité qui a fait de lui, non pas le seul, ni le principal, mais l’un des utiles ouvriers de la transformation à laquelle son nom est demeuré attaché.

Que penserons-nous cependant de cette transformation même ? et nous associerons-nous au jugement de M. Brunot, quand il conclut que, « nulle part peut-être, on n’eût ainsi abandonné de gaîté de cœur, et sans pensée de retour, une voie où des Ronsard, des Du Bartas, et des Desportes étaient allés déjà si loin ? » Et il fait, en vérité, trop d’honneur à Du Bartas, comme aussi bien à Desportes. Mais nous avons déjà répondu. La transformation, ou la décadence du lyrisme dans les premières années du XVIIe siècle, est le prix dont nous avons payé le progrès et le triomphe de la poésie dramatique et de l’art oratoire. Non omnis fert omnia tellus. De même que dans la nature, deux espèces voisines ne sauraient croître et prospérer ensemble dans le même canton, et tout ce que l’une d’elles réussit à gagner dans le combat pour la vie, il faut que l’autre le perde ; ainsi, dans un temps donné de l’histoire d’une littérature, on n’a jamais vu qu’il y eût place pour tous les genres à la fois, et si quelqu’un d’entre eux y atteint sa perfection, c’est toujours aux dépens de quelque autre. Ne nous inquiétons donc pas que les étrangers « se soient étonnés du choix que nous avons fait de Malherbe pour maître ; » si d’abord, comme on l’a vu, Malherbe n’est devenu le maître des beaux esprits de son temps qu’après avoir commencé par en être le disciple ; si ce qu’il a fait, nous pouvons le dire, un autre, à son défaut, l’eût certainement fait ; et si enfin, comme nous avons tâché de le montrer, en tuant le lyrisme, il a créé l’éloquence. On s’étonnerait avec autant