remonter le courant. Il crut bien faire en suivant la mode. Le réalisme semblait victorieux ; il constata, lui aussi, cette victoire et suivit la cause du vainqueur. Il n’y eut pas abjuration de sa part ; mal présentée, la cause du réalisme semblait être une réaction contre des conventions usées et une forme de l’opposition libérale. En l’embrassant, Thoré pouvait donc se croire toujours un homme d’avant-garde. De plus, en Belgique et en Hollande, il avait beaucoup admiré les réalistes des deux derniers siècles ; en adoptant la cause du réalisme contemporain, il crut favoriser en France l’avènement d’un art qui aurait rappelé celui de Rembrandt et de Ruysdaël. Deux choses, cependant, le gênaient dans cette évolution ; les romantiques avaient laissé des élèves, dont plusieurs avaient du talent, et, souvent, les réalistes exposaient des œuvres qui semblaient faites pour exaspérer les hommes de goût. Thoré subit les conséquences de cette gêne : il ne consentit pas à condamner la peinture romantique et à vanter sans réserve la critique réaliste ; sa critique fut une cote mal taillée. Un troisième parti s’offrait encore à lui, qui eût été à la fois le meilleur, le plus facile et le plus habile. Il n’y avait autour de lui, comme critiques, que des indifférens, se servant de l’art pour faire de la littérature, ou des polémistes, subordonnant l’intérêt de l’art à d’autres passions. Il pouvait, lui, être vraiment critique, se placer au-dessus des écoles rivales et dire la vérité à tous, romantiques ou classiques, idéalistes ou réalistes. L’originalité d’un pareil rôle et son talent d’écrivain lui auraient bien vite procuré l’autorité. Il préféra louvoyer entre les idées d’autrefois et celles d’aujourd’hui.
En modifiant ses idées, il modifiait aussi son style. Avant 1848, il était, comme le voulait la mode, enthousiaste et lyrique. Désormais, il s’exerce à l’ironie et à l’épigramme ; il veut être pratique et sensé. Cependant, Théophile Gautier, imperturbable dans sa fidélité au style de 1830, et Paul de Saint-Victor, — la plus complète incarnation du style noble dont la rhétorique française puisse se glorifier depuis Thomas, — lui montraient que le style à panache avait toujours ses fervens, tandis que Castagnary, réaliste intransigeant, mêlait dans sa façon d’écrire l’imitation de Diderot, le culte littéraire de Victor Hugo et la recherche personnelle de la couleur. Thoré sembla préférer le style alerte, mieux fait, lui semblait-il, pour la littérature au jour le jour, dont Edmond About, auquel, du reste, il ressemble si peu, offrait alors le brillant modèle. Mais, pas plus qu’il ne lui avait été possible d’abandonner complètement le romantisme dans l’art, il ne lui était possible de changer du tout au tout la façon d’écrire contractée à son service. De là, d’amusantes disparates de ton. Il lui arrive, dans la même page, d’écrire