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un bras autour du corps, cherche à le ramener en arrière, tandis que de l’autre bras, posé sur l’épaule de Sem, il presse celui-ci de laisser tomber sur leur père le voile qu’il vient d’apporter. Sem, en effet, par un mouvement impétueux, ouvre l’étoffe et s’apprête, en détournant les regards, à en couvrir le dormeur. En dehors de la grotte, à gauche, un motif un peu oiseux, un homme (Adam sans doute) bêchant la terre.

En examinant cette page d’une si belle allure, ces gestes qui se pénètrent si éloquemment, ces lignes qui se marient avec tant d’imprévu et tant d’harmonie, en un mot cet art consommé de la narration et du drame, on est surpris de ce que Michel-Ange ne se soit pas essayé plus souvent dans le bas-relief ; que de drames n’eût-il pas pu y dérouler sous leur forme la plus concrète et la plus pathétique !

Les Prophètes et les Sibylles sont précisément aux compositions historiques du plafond ce que des statues sont à des bas-reliefs. Mais pour être dépouillées ainsi de toutes les ressources de la mise en scène, ces évocations de l’Ancien-Testament en sont-elles moins puissantes, moins pathétiques ?

Jamais encore les figures décoratives n’avaient été rattachées aussi intimement à l’encadrement architectural : loin de servir d’accessoires, elles font corps avec le plafond, et il serait impossible de concevoir l’ensemble sans ces cariatides ou ces figures assises sur des socles qui lui donnent son caractère et sa raison d’être. Aussi a-t-on pu dire d’elles qu’elles étaient comme la personnification des élémens de l’architecture.

Michel-Ange n’eût-il peint que le plafond de la Sixtine qu’il se serait révélé comme un architecte de génie, tant il a mis de netteté, de vigueur, je serais tenté d’ajouter de couleur, dans les moulures, les entablemens, les socles.

Avant lui, des maîtres habiles, et Mantegna tout le premier, avaient réalisé dans la peinture de plafonds de véritables tours de force ; mais c’était plutôt au moyen de combinaisons de perspective que de combinaisons architecturales. Désormais le genre est trouvé, le problème résolu, et depuis les Vénitiens jusqu’à Paul Baudry, dans ses peintures du foyer de l’Opéra, tous les maîtres qui s’essaieront dans ces problèmes seront tributaires du décorateur de la Sixtine.

Considérons-nous l’esprit qui anime ces fresques, ici encore nous sommes loin de la naïveté et de la douceur propres aux quattrocentistes. On dirait qu’un siècle de fer a succédé à l’âge d’or. La passionologie de ces maîtres charmans n’est que jeux d’enfans, comparée aux drames de Michel-Ange ; ils savent rendre les sentimens