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mesure, et d’augmenter la vraisemblance des phénomènes eux-mêmes.

La perception ordinaire est un fait assez complexe : voir une pomme, cela implique l’éveil de tout un petit monde d’impressions et de souvenirs. À propos d’une tache jaunâtre, il vient en nous des idées de fermeté douce et de forme presque ronde, des souvenirs d’un goût sucré et légèrement acide. Ce cortège accompagne la sensation et se confond avec elle. Quand il se forme mal à propos, la perception en est viciée. C’est ce qui arrive, par exemple, lorsque dans le brouillard un pigeonnier vu à cent mètres éveille en nous des images de tour ruinée et que nous croyons voir les restes d’un château-fort. La perception normale est une construction que l’esprit élève et qui doit représenter la réalité extérieure, mais qui n’y arrive pas toujours.

La perception télépathique, comme la perception normale, tend aussi à devenir une représentation du fait extérieur ; comme la perception normale, elle suppose une impression reçue du dehors et l’éveil d’un ensemble d’images, d’idées et de sensations destinées à accompagner cette impression, à lui donner un sens, à l’interpréter. Seulement, si la perception normale échoue quelquefois, si elle a ses illusions et ses erreurs, les imperfections de la perception télépathique sont bien plus graves encore. Rien ne nous autorise à attribuer à l’esprit le pouvoir de connaître directement et parfaitement des événemens quelconques. En faisant la part aussi belle qu’on le voudra au pouvoir d’être impressionné autrement que par les moyens ordinaires, on ne peut qu’y voir une faculté rudimentaire, très rare ou du moins très inégale et très variable, relativement bien inférieure à la perception normale.

Dans certains cas, les plus favorables, la perception télépathique paraît égaler en intensité la perception ordinaire ou tout au moins les images du rêve et les hallucinations hypnagogiques, et elle reproduit avec une assez grande facilité certaines parties de la réalité extérieure. Nous avons vu avec quelle vivacité Mme B… avait ressenti, au même endroit du corps, la brûlure que M. Jules Janet s’était faite à lui-même. Une personne, dont l’ami s’était noyé, le vit apparaître tout ruisselant d’eau[1]. Une mère vit son fils, au moment de sa mort, avec le costume qu’il portait réellement et qu’elle ne lui connaissait pas. Une autre mère raconte la vision qu’elle eut de la mort de son fils : « Il s’est noyé la nuit dernière comme il allait à bord ; pendant qu’il traversait la planche, elle a glissé. Je l’ai vu et je l’ai entendu dire : Oh ! mère[2] ! » Le

  1. Les Hallucinations télépathiques, p. 130.
  2. Id., p. 117 et suiv.