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En tout cas, ils sont presque tous fort beaux, et le volume d’une exécution très soignée.

Nous en dirons autant du Théâtre de M. François Coppée[1]. Mais, quand nous voudrons louer M. Coppée lui-même, ce qui nous sera toujours facile et toujours agréable, ce n’est pas de Madame de Maintenon, ni même des Jacobites, que nous prendrons occasion. Contentons-nous donc ici d’avoir annoncé la publication de ce second volume de ses Œuvres complètes, et venons à Pêcheur d’Islande.

Si l’on osait se hasarder à prédire l’avenir, et, parmi tant de romans qui ont paru depuis dix ou douze ans, si l’on essayait de prévoir quels sont ceux qui mourront et lesquels survivront, j’en nommerais que je préfère, pour des raisons à moi, mais je parierais pour Pêcheur d’Islande[2]. Je viens de le relire, et, — que les éditeurs et surtout les auteurs me pardonnent ! — C’est peut-être ce qui m’a empêché de savoir les Mésaventures de Joël Kerbabu. J’en aime tout, ou presque tout, et d’abord l’oubli que Loti y a fait de lui-même pour ne songer qu’à ses personnages. Aussi comme ils sont vivans, bien vivans, d’une vie qui ressemble à la nôtre, vraiment humaine, dont la monotonie de l’existence a régularisé les battemens, sans diminuer en eux la puissance de souffrir. Et puis, les autres étaient d’une autre race, Aziyadé, Rarahu, Fatou-gaye, des exotiques, presque d’une autre humanité, mais celle-ci, la petite Gaud, mademoiselle Marguerite, est vraiment de la nôtre, par l’ardeur cachée de son amour, la douceur infinie de sa résignation, l’innocence de sa coquetterie. C’est le « fils Gaos » qui me plaît moins, pour trop ressembler à « mon frère Yves. » Ai-je besoin de rappeler la simplicité des moyens, celle des sentimens, la profondeur des uns, l’intensité des autres ? Mais qui jamais a mieux peint la mer, le calme blanc des mers d’Islande, la brume opaque des régions polaires, ou encore la sourde menace qui roule perpétuellement dans les plis de ses vagues, ses révoltes haineuses, et la fatalité de son pouvoir ? Certes, il n’était pas facile à M. Emile Rudaux de rivaliser avec le texte de son auteur, et nous n’oserons dire qu’il y ait tout à fait réussi. Mais il n’y a pas échoué non plus, et les cent vingt-huit compositions dont il a illustré Pêcheur d’Islande lui font sans doute le plus grand honneur. Il n’y en a pas une qui ne soit dans l’esprit du texte, et il y en a plusieurs qui seraient presque capables, à elles seules, d’en raviver le souvenir. Que pourrions-nous en dire davantage ? et comment aussi pourrions-nous mieux finir ?


F. B.

  1. Théâtre de M. François Coppée, 1869-1889. Édition illustrée, 1 vol. in-8o ; A. Lemerre.
  2. Pêcheur d’Islande, par Pierre Loti, illustré de 128 compositions de M. Emile Rudaux, 1 vol. in-8o ; Calmann Lévy.