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qui n’est plus que leur collègue, quel est leur rôle aujourd’hui ? Ils professent, à ce qu’il semble, assez lestement et à courte distance, la commode théorie des opinions successives !

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que pour pallier ces contradictions ou ces évolutions, pour se mettre à l’abri d’une autorité respectée, on est allé exhumer sérieusement une circulaire écrite en 1877, au lendemain du 16 mai, par M. Dufaure. D’abord, il s’agissait d’une enquête électorale, œuvre plus ou moins politique, fort différente d’une enquête strictement judiciaire. Et de plus, même*dans ces conditions, que disait M. Dufaure ? «Il rappelait que le magistrat a des devoirs particuliers de discrétion et de réserve, dont il ne peut s’affranchir. » Il recommandait aux chefs du parquet de « concilier le respect dû aux délégués d’un grand corps politique et les prérogatives dont la justice a besoin pour accomplir l’œuvre sociale que la loi confie à ses soins. » Il n’hésitait pas à reconnaître qu’aux magistrats seuls appartient « le droit de mettre au jour les documens judiciaires ou de les tenir secrets. » Il ajoutait enfin, pour la direction de ses procureurs-généraux, que s’ils avaient des doutes, ils devaient les lui soumettre et qu’ils parviendraient ensemble, par un examen attentif, à prévenir les conflits. Est-ce qu’on en est à ces règles sévèrement sauvegardées ? C’est à peu près le contraire que fait M. le garde des sceaux d’aujourd’hui, en paraissant s’inspirer des instructions de M. Dufaure. La veille encore, il revendiquait pour lui le droit de décider, sous sa responsabilité, ce qui pourrait être communiqué et ce qui ne devrait pas l’être ; le lendemain, il s’est fait une sorte de point d’honneur de tout livrer, sans examen, sans contrôle, sans jeter les yeux sur un papier, et les vagues réserves dont il a accompagné ses communications ne sont plus qu’un vain déguisement. Le fait réel, c’est la capitulation du gouvernement et du chef de la justice devant la commission d’enquête parlementaire, reconnue dans son omnipotence.

Fort bien ! Et si, pour sa part, la magistrature, qui n’a pas encore signé la capitulation, se retranche dans la résistance ! M. le procureur-général Quesnay de Beaurepaire a déjà refusé de se prêter à ce qu’on lui demandait ; soit par un scrupule sincère de magistrat, soit peut-être un peu par calcul, il est allé crânement au-devant d’une révocation, il l’a défiée ; on lui a répondu en le plaçant à la cour de cassation ! Voilà pour un ! Mais si, à son tour, M. le premier président de la cour de Paris et avec lui d’autres juges persistent dans leurs protestations, que fera-t-on ? Va-t-on les épurer encore une fois ou les placer tous à la cour de cassation ? Allons plus loin : si les avocats des accusés de Panama, qui ont déjà fait leurs réserves, se servent des indiscrétions qui peuvent être commises, qui sont presque inévitables, des irrégularités qui sont déjà nombreuses dans cette triste affaire, pour contester la validité d’une instruction illégalement conduite, et si un