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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/106

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doctrines que l’économie politique s’est appliquée à formuler, depuis environ cent cinquante ans qu’elle a pris rang parmi les sciences, ne sont, ou du moins ne doivent être, que la constatation de faits éternels. La difficulté est de dégager avec une clarté suffisante, de faits mal connus eux-mêmes, leurs causes naturellement moins connues encore ; de décrire dans ce corps social de l’an 1200, qui offre si peu de rapports avec le corps social de l’an 1900, le jeu de muscles, l’action de nerfs, la circulation d’un sang que les révolutions physiques et intellectuelles ont tant modifiés.


I

La plus grande de ces révolutions, dans le passage des temps féodaux aux modernes, c’est le changement de point de vue et d’appréciation : 1o sur les choses qui peuvent être possédées ; 2o sur les formes et les degrés de la possession. Tout ce qui concerne la propriété étant convention, chaque peuple, chaque temps a droit d’avoir la sienne ; il a également droit de trouver bizarre celle des autres. Les gens du XIIe siècle estimaient que la personne humaine est une marchandise, ils n’estimaient pas que l’argent en lût une. Ils proscrivaient le commerce des métaux précieux, ils admettaient le commerce des hommes. Les vertueux scrupules qui les empêchaient de tirer un revenu de leurs capitaux mobiliers, — il n’en allait pas de même de leurs capitaux fonciers, — ne paralysaient nullement la conclusion de marchés de toutes sortes dont leurs frères et sœurs en Jésus-Christ étaient l’objet. De là le servage, les hommes et femmes « de corps » et le cortège des droits, perceptions et produits variés que l’on retirait d’eux ; propriété d’une espèce depuis longtemps abolie, mais qui entre pour une part notable dans la fortune privée au moyen âge.

Ne nous abusons pas ; cette opinion qu’un homme peut appartenir à un autre homme, que nous jugeons fausse, les plus déterminés philanthropes de nos jours l’eussent trouvée toute simple s’ils avaient vécu au Xe ou au XIe siècle, soit qu’ils fussent seigneurs, soit qu’ils fussent serfs. On en dirait autant de toute la mise en scène des investitures, transmissions ou simplement reconnaissances de propriété : quand un locataire « avouait, » en 1350, être tenu d’embrasser la serrure de son propriétaire, ou lui devoir « l’hommage à genoux, avec le baiser du pouce, » il faisait une chose qui paraît intolérable aujourd’hui, où personne ne se met plus à genoux devant personne, mais qui semblait tout à fait naturelle en un temps où tout le monde se mettait à genoux devant tout le monde.

C’est absolument comme ce terme salutatoire de « votre très