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Mais, au XIIe siècle, ce droit d’attrait ne fonctionne pas encore. Souvent même les charges des « communes, » les abonnemens, franchises ou bourgeoisies (tous ces termes représentant une même idée et rentrant les uns dans les autres) que le roi leur a consentis pour une somme censée invariable, mais qui en fait varie fort, sont assez lourds pour que les serfs du voisinage n’aient pas avantage toujours à s’incorporer à la cité. Les « hommes de corps » de l’évêque de Laon résident dans la ville de ce nom, sans être astreints au paiement de la taille communale ; ils tiennent à n’être pas soumis à la justice laïque de la municipalité, mais bien à celle de l’évêque. Le statut personnel est ainsi réclamé par chacun selon son intérêt ; les uns préfèrent être « bourgeois, » les autres « hommes de corps ; » c’est une question de point de vue. Les bourgeois eux-mêmes doivent y regarder à deux fois avant d’autoriser l’accession de nouveaux-venus, vis-à-vis desquels, une fois admis, la responsabilité du phalanstère va se trouver engagée. Le règlement fait par les prud’hommes et consuls d’Agen (1196) oblige la ville à prendre fait et cause pour ses bourgeois, même contre le roi d’Angleterre, son seigneur ; et si elle ne peut obtenir réparation des dommages causés, elle doit faire elle-même les frais de l’indemnité.

D’ailleurs, cet affranchissement qu’eût conféré au serf son habitation dans une ville franche ne lui eût pas donné des rentes ; il ne suffisait pas d’être libre, il fallait encore avoir du travail. En quittant sa terre, le serf se débarrassait de son maître, mais il perdait aussi son pain. Les petites villes de ce temps-là, sans riches, sans besoins, sans dépenses, leur population de rentiers médiocres et d’artisans limités, n’auraient offert ni travail, ni pain, aux hommes des champs qui seraient venus en trop grand nombre leur demander asile.

En certains districts, par les conditions dans lesquelles des semi-affranchissemens avaient été accordés au « plat pays, » le suzerain lui-même s’était lié les mains : quand la taille seigneuriale est, pour me servir du langage moderne, un « impôt de quotité, » une sentence de justice pourra tolérer l’affranchissement de la « femme de corps » par son mariage avec un homme libre, et condamnera seulement le ménage à payer à l’ancien seigneur d’un des conjoints la taxe qui lui est due. Mais quand les obligations des serfs, converties en un impôt de répartition, sont collectives, la serve qui épouse un bourgeois de ville franche ne peut échapper à sa condition première, sans le consentement de la communauté dont elle est issue.

En somme, les « communes, » dont l’origine se perd dans la nuit mérovingienne, et remonte même, sous d’autres noms, à la