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de « pouvoir tenir leurs enfans en école, et iceux faire chanter messe, sans requérir le vouloir du seigneur ni d’autre… » En effet, aller à l’école, c’est, au moyen âge, aller à la cléricature, au couvent, et par conséquent au célibat, ne pas faire souche, tarir le revenu du seigneur en diminuant la population. Il faut une faveur de lui pour cela.

Il y eut du reste, dans le passage de l’état du serf du XIIe siècle à celui du citoyen laboureur de nos jours, une gradation douce, pendant laquelle on est parfois en présence d’exploitans semi-libres et semi-asservis, d’un fermage rude ou d’un servage mitigé. Un particulier se fera « homme propre, » — synonyme d’homme de corps, — d’un seigneur, ainsi que sa famille et ses biens, mais en conservant la faculté de « se désister de cette dépendance quand il lui plaira. » Évidemment, cet individu y trouve des avantages, puisqu’il offre de payer pour cela un sou par an. À côté des « hommes propres, » il y a les « hommes assermentés » ou « jurés » d’une ville franche, situation qui ressemble beaucoup à celle des bourgeois, et que certains paysans acquièrent, au mépris des droits de leurs seigneurs, malgré ses vaines réclamations et les procès qu’il leur intente, « à la condition de tenir toujours un feu, sauf pendant la moisson et la vendange, dans la localité à laquelle ils se sont affiliés. » Il y a aussi les « hôtes, » les « voisins, » les « cliens, » les « hommes communs ; » ces derniers venus de loin, ou vivant sur des terres sans maîtres définis, ressemblent à des biens indivis.

Pour les « hôtes, » il est reconnu qu’ils ont le droit de déménager ; ils ne sont donc pas plus une propriété que les « hommes de corps affranchis. » Lorsqu’il les donne ou qu’il les vend, le suzerain transmet seulement les droits de patronage qu’il a sur eux et les revenus, variables ou fixes, qui y sont attachés. C’est une transaction semblable à celle du marchand qui passe à un autre sa clientèle. L’indemnité payée à un propriétaire par un autre, à Brétigny (1100), pour deux « hôtes » qu’il lui avait transmis et qu’il est reconnu ne pas posséder est de 20 sous, 10 sous par tête, ou, en valeur relative, 60 francs de notre monnaie. Entre les exploitations libres ou esclaves, on distingue des catégories : les « bordes » et les « manses » qui sont les mêmes en Normandie qu’en Roussillon, en Alsace ou en Dauphiné.


IV

À côté du servage subsista chez nous, dans le midi surtout, l’esclavage pur et simple des anciens jusqu’à la fin du XVIe siècle. Le parlement de Bordeaux rendit, par arrêt de 1571, la liberté aux