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merveille comme on pullule ; de chaque foyer sort une tribu : plus on est de bras, plus on cultive. En 1550, les vingt et une souches avaient fourni deux cents branches. Puis vient le mouvement inverse, on est trop nombreux, on se gêne ; on s’arrache des miettes de pré et de labour : plus on a de bouches, moins on a de quoi les nourrir. En 1650, sur les deux cents branches anciennes, il n’en restait plus que six ; les autres avaient été remplacées, sur tout ce territoire, par des étrangers.

L’immutabilité du cens n’offrait, pour le preneur, aucun danger ; car s’il ne faisait pas ses affaires, il était bien rare qu’il ne fût pas admis à rendre la terre, « reçu au déguerpissement, » comme on disait, en même temps que déchargé des redevances. On nommait exponction cette faculté que la coutume accordait à l’exploitant de remettre le fonds au bailleur, afin de s’affranchir de ses engagemens. Le fermier moderne n’a pas le même droit, bien que parfois il le prenne ; et sa situation n’est pourtant pas à comparer avec celle de ce censitaire qui rend la terre quand il lui plaît, et à qui on ne peut la reprendre. Pour les propriétaires de maisons, le bail-vente à cens est encore plus onéreux que pour les propriétaires de terres : non-seulement ils n’ont aucune part à l’augmentation de leur valeur, mais la clause qui permet (ou qui tolère) que le preneur à cens casse son bail, en rendant la chose baillée, est, — pour une maison qui, dans une certaine mesure, se consomme par l’usage, — désastreuse pour le bailleur. Le fait ne se produisit pas, parce qu’en général la plus-value du terrain compensa très amplement la ruine de la bâtisse. Cependant, au XVe siècle, où le désastre financier s’étendit aux constructions urbaines, y compris celles de la capitale, on vit des maisons, à Paris comme ailleurs, rendues par les propriétaires-censuels aux seigneurs ; et ceux-ci, pour ne pas les reprendre, durent abaisser le loyer, c’est-à-dire le prix du cens.

L’aliénation, ou location à cens, fut donc un système offrant au preneur du moyen âge des avantages inouïs, tels que l’ouvrier ou le paysan de nos jours ne peut ni ne doit en espérer d’analogues d’aucune réforme sociale, d’aucune révolution économique, parce qu’ils avaient leur source dans un état matériel auquel nous ne pourrions revenir que par l’anéantissement des deux tiers, des trois quarts peut-être de notre population et des neuf dixièmes de nos richesses nationales.

La rareté du numéraire dut être une des causes du bail à cens, car on le voit presque disparaître à la fin du XVIe siècle, et l’autre motif qui détermina les propriétaires à se dessaisir ainsi de leurs immeubles lut le désir d’en tirer un meilleur parti. Beaucoup de ces concessions de terrain, dans les villes, sont faites « à la charge