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Si quelques domaines paient, en plus du cens, un surcens ou arrière-cens, c’est qu’ils sont revenus, pour un motif quelconque, entre les mains du seigneur censier qui, avant de les aliéner à nouveau, les frappe d’une surtaxe représentant la plus-value acquise par eux, depuis leur concession primitive. Ces retours de la propriété foncière, de la chaumière au donjon, s’effectuèrent à beaux deniers comptans dans les époques prospères : les habitans de Chanac (Limousin) vendent au seigneur de ce nom, en 1349, un bois que leur « ancêtres avaient anciennement pris à rente de Pierre de Chanac, chevalier. » Les exemples de terres rachetées par le seigneur à ses vassaux sont rares au XIVe siècle, mais elles sont chose courante au XVIIe et au XVIIIe siècle, où se constituèrent toutes les grandes propriétés qui existent encore.

Au moyen âge, dans la période qui suivit l’accensement, il ne resta plus d’autres agglomérations de terrains que celles qui étaient l’objet d’une propriété collective, grandes forêts, vastes pâtures, sur lesquelles s’exerçaient d’ailleurs les empiétemens avides et continus des riverains. Tout cultivateur, ayant moyen de devenir propriétaire, eût dédaigné de travailler pour autrui ; et tout seigneur, dans l’impossibilité où il se trouvait de faire valoir son fonds par les mains de fermiers libres, se vit obligé, pour vivre, de s’en dessaisir en l’accensant. Cependant la misère du XVe siècle lui ramena une certaine partie de ces « héritages : » le résultat de bien longs efforts fut alors perdu en quelques années.

De ce mouvement rétrograde viennent les nombreux baux à cens, datant des règnes de Charles VIII et de Louis XII, que l’on trouve dans des contrées fertiles ; en Beauce, par exemple, entre Chartres et Dreux, ils abondent. Ces accensemens de terres à un et deux sous l’arpent, vers 1490 et 1500, nous prouvent que, là, le sol était en friche ; autrement il eût été déjà « baillé à cens. » Mais n’avait-il jamais été exploité précédemment ? Était-il demeuré ainsi depuis la conquête franque, depuis Charlemagne, depuis saint Louis ? N’avait-il pas été une heure dans l’histoire où la main de l’homme l’avait fouillé ? Sans doute il était en valeur avant les guerres anglaises, et c’était pour la seconde ou la troisième fois que la civilisation s’emparait de lui.

À la même époque, au début du XVIe siècle, survient dans la campagne un nouveau prétendant à la possession de la terre : c’est le bourgeois, qui n’est ni d’épée, ni de robe sainte, ni de charrue. Grâce à la paix, il sort de ses murailles, de son burg, grand ou petit, et vient disputer, lui quatrième, au manant, au seigneur et au moine, le fonds rural auquel il donne ainsi un nouveau prix. Ce bourgeois achète indistinctement la terre roturière qui paie le cens