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palais florentins, son livadi, où l’on s’assemble le dimanche et qui rappelle l’étroite place du Palazzo-Vecchio, ses ruelles qui découpent, entre les toits, une mince bande d’azur clair, ses portes barrées de chaînes et fermées de grilles comme celles des communes italiennes, ses voûtes d’arcades interrompues qui laissent des flaques de lumière dorée tomber et s’étaler sur le pavé, Pyrghi est un morceau d’histoire vivante, presque intact, laissé en Orient par la mahone génoise.

J’y suis arrivé le jour de la fête, au moment où les gens du pays se rendent à la panégyrie. Les hommes sont amusans, presque comiques, avec leurs longues jupes de toile blanche qui tombent jusqu’aux pieds, leurs vestes noires trop courtes, les calottes blanches, trop petites, qui tiennent par miracle sur leurs crinières. Mais on regarde à peine cet accoutrement des Grecs de Pyrghi, car leurs femmes, qui se sont parées coquettement, à loisir, ont un costume d’une originalité fort nouvelle. Les jeunes filles, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, sont coiffées d’une barrette blanche, plate, allongée, effilée à droite et à gauche en deux pointes, fleurie de minces broderies, posée crânement en bataille sur leur chevelure courte, qu’elles coupent un peu au-dessus des sourcils, et qui retombe sur les oreilles, en riches boucles. Sur une longue chemise de toile blanche, dont les plis lourds descendent jusqu’aux pieds nus, elles portent une tunique blanche aux manches larges, plissée à la taille par une écharpe nouée, qui retombe par devant en lanières de pourpre. Une pièce d’étoffe voyante, ordinairement orange ou écarlate, agrafée aux épaules, dissimule la poitrine sous des plis de péplum antique, et découpe un corsage carré sur la blancheur de l’ajustement. Ce costume drape plutôt qu’il n’habille ; il laisse deviner les formes riches et amples que l’on soupçonne, accuse à peine la cambrure des reins et la robuste rondeur des hanches, dignes d’être modelées, par le ciseau de Polyclète, dans le marbre pur. Quand les jeunes filles sont en âge d’être mariées, elles entourent leur barrette d’une bande de soie blanche ou jaune, dont les franges pendent à gauche jusqu’à l’épaule, et dont l’agencement rappelle tout à la fois le « chapel » des dames du temps passé, et le mezzaro des femmes corses. Leurs visages sont charmans. Presque toutes ont le teint bruni : quelques blondes semblent dépaysées dans ce milieu oriental. Sur la place étroite, au pied de la grande tour, dorée par le ciel ardent, elles allaient par groupes, se donnant la main, ou bien s’asseyaient immobiles, sur des bancs de pierre, le long des murs, comme des saintes de mosaïque. Des garçons essayaient de les amuser, en chantant de lentes cantilènes. Elles écoutaient, tranquilles, d’un air sage et recueilli, silencieuses,