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néologismes, de mots crus, de plaisanteries épaisses, de comparaisons bizarres, et même sacrilèges : « les dictons les plus vulgaires et les gaudrioles les plus profanes y sont mêlés aux citations des textes sacrés. » — « Florence, dit Dante, n’a pas autant de citoyens du nom de Lapi ou de Bindi qu’il se débite de fables en chaire dans le courant d’une année. On prêche maintenant avec des mots et des bouffonneries : pour peu que l’on fasse rire l’auditoire, le capuchon se gonfle d’orgueil ; on n’en demande pas davantage. » De très savans personnages, nos contemporains, se sont prononcés plus énergiquement encore que Dante. Mais ils ont jugé peut-être en humanistes plutôt qu’en hommes. D’ailleurs, ils ont été pénétrés eux-mêmes, à la longue, par le charme de ces qualités excellentes de spontanéité et de naturel, qui font des causeries de Robert de Sorbon, de Nicolas de Biard et de quelques autres moralistes enjoués de la même école un si délectable bréviaire. M. Hauréau, qui a plus d’une fois condamné, d’une manière très rigoureuse, la chaire populaire du XIIIe siècle, au nom de la grammaire et de la décence, ne l’a-t-il pas absoute à moitié quand il a reconnu en ces termes, avec son habituelle exactitude, ce qui lui assure, à nos yeux, un grand prix : « Rien ne fait mieux connaître, dit-il, que ces sermons populaires les sentimens des personnes. Ils sont généralement médiocres au point de vue littéraire, et souvent même détestables, mais les uns vifs, les autres lourds, tous sont d’allures franches… On y trouvera des inconvenances de toutes sortes, mais pour faire bien apprécier l’état moral d’un orateur, il n’y a rien de tel que ses naïves offenses aux règles du goût. Dans un discours composé suivant les règles, il dit ce qu’il doit dire, non peut-être ce qu’il pense. Le ton plus ou moins vif de sa sincérité nous apprend en outre ce qu’il peut se permettre devant son public ou ce qu’il juge utile d’oser pour lui plaire… La liberté du genre familier autorise chacun à parler suivant son humeur propre… D’où l’on recueille d’intéressantes informations sur les mœurs. »

Il suffit, en effet, d’assister à quelques sermons populaires pour apprécier à bon escient et l’orateur et l’auditoire. L’un et l’autre se profilent nettement dans les sermologes du XIIIe siècle. Le public qui se réunissait autour des chaires populaires de ce temps ne ressemble nullement à celui des prêches anglais de nos jours, d’une ferveur passion née et grotesque : c’est un brave public français, médiocrement dévot, crédule, léger, curieux d’histoires merveilleuses et de bonnes farces. Certes, il n’est pas dévot ; il assiste au sermon sans zèle ; des plaintes s’élèvent fréquemment des rangs du clergé, parce que les églises sont presque désertes quand on prêche : « Ont-ils perdu leur ânesse, ils feront bien deux lieues