Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

praticien, prédicateur habile, s’est borné à réunir en volume des instructions qu’il a jadis prêchées lui-même, ou bien il a écrit d’un seul jet une série de modèles avec des intentions formellement didactiques. Les manuels de cette dernière espèce sont les mieux ordonnés, comme il est naturel, et quelquefois les plus instructifs, « car il y a des choses que l’on écrit pour quelques-uns, entre clercs, et que l’on n’aurait pas dites en public. »

Il serait fastidieux d’énumérer, même en choisissant celles qui ont alimenté pendant des siècles l’enseignement populaire du christianisme, les collections de Themata. Qu’il suffise d’affirmer qu’elles sont très variées. « Il n’y a pas de panacée qui convienne à tout le monde, dit Jacques de Vitri, dans sa préface ; le médecin qui veut guérir tous les yeux avec le même collyre est un fou, et celui qui soigne l’œil ne soigne pas le pied. Sachons-nous mettre à la portée des gens. » En même temps que des modèles de prônes pour tous les dimanches et pour tous les jours fériés (sermones dominicales), Jacques de Vitri s’était donc attaché à esquisser des paradigmes d’exhortations appropriées aux différens genres d’auditoires (sermones vulgares ou ad status) : prêtres, avocats, écoliers, lépreux, pèlerins, chevaliers, bourgeois, laboureurs, vignerons, marins, etc. Humbert de Romans, dans son De eruditione prœdicatorum, est encore plus complet : il a donné jusqu’à des formules d’allocutions à prononcer dans les repas de noce, à l’ouverture des tournois, pendant les processions, et pour la conversion des pécheresses publiques. On a calculé que Jacques de Vitri, Humbert de Romans et Guibert de Tournai fournissent à eux trois des séries d’instructions particulières pour près de cent vingt catégories de fidèles[1]. — Ajoutons que ces compilations, plus ou moins schématiques, mais d’ordinaire très étendues, ont eu jadis d’autant plus de débit qu’elles nous paraissent aujourd’hui plus dépourvues d’intérêt. Les meilleures, en effet, étaient les plus banales pour les curés qui s’en servaient ; et les seules qui aient gardé pour nous quelque valeur sont justement celles qui, sous l’apprêt pédagogique, laissent entrevoir la personnalité ou l’entourage du rédacteur. Celle de Maurice de Sulli, la première en date, a été très appréciée, surtout en Angleterre. Celles de Jean Halgrin d’Abbeville, cardinal et légat de Grégoire IX en France, et de Nicolas de Gorham, prieur de la maison dominicaine de Saint-Jacques, à Paris, en 1280, ont bénéficié d’une fortune incroyable jusqu’en pleine renaissance ; c’est tout dire ; elles sont d’une platitude parfaite. Celles du

  1. Sur un traité récemment retrouvé d’Humbert de Romans, relatif à l’art de prêcher la croisade, cf. A. Lecoy de La Marche, la Prédication de la croisade au XIIIe siècle, dans la Revue des questions historiques, XLVIII (1890).