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la Suisse, dont personne ne pouvait être dupe. Nos protectionnistes à outrance ont voulu donner une leçon au gouvernement pour sa libéralité et confirmer par une manifestation nouvelle l’œuvre sacro-sainte du tarif. Ils ont réussi, ils ne peuvent qu’être satisfaits !

Ce qu’il y a de singulier, c’est que nos protectionnistes ne veulent ni admettre ni même prévoir les conséquences de ce qu’ils font, et qu’ils ont cru en être quittes avec des politesses à l’égard de la Suisse. Ils se sont tous succédé pour protester de leur amitié, de leurs sympathies invariables pour une si vieille alliée ! Malheureusement, entre des nations qui ont à défendre les intérêts de leur travail, de leurs industries, de leur commerce, les politesses ne servent à rien ; il n’y a que la réalité des choses qui compte, et le résultat le plus clair du dernier vote de notre chambre, c’est que, dès aujourd’hui, la Suisse relève à sa frontière son tarif général, avec toute sorte de surélévations de droits sur les produits français, et avec le dernier arrangement, va tomber aussi peut-être la convention littéraire : une de nos plus sérieuses industries va être soumise aux conditions les plus dures. De son côté, la France oppose aussi à la Suisse son tarif général. En d’autres termes, c’est la guerre économique déclarée entre les deux pays ! On en reviendra sans doute ; on ne tardera pas à sentir, à Berne comme à Paris, la puissance des liens traditionnels d’amitié, des intérêts réciproques. C’est, dans tous les cas, une négociation délicate à rouvrir, — et, en attendant, c’est la guerre à coups de tarifs : c’est la Suisse, détachée de la France, rejetée vers des rivaux qui n’attendent que l’occasion ; c’est le courant commercial se détournant, allant vers l’Italie, vers l’Allemagne. Nos protectionnistes oublient que c’est par les intérêts autant que par les sympathies que se font ou se défont les rapports politiques qui peuvent dans des circonstances décisives devenir une garantie ou une faiblesse.

Ainsi vont les choses à cette heure où une année s’achève, où s’ouvre une année nouvelle. Elles n’ont rien de brillant en France ; elles n’ont pas l’air d’aller beaucoup mieux en Europe, où cette triste épidémie d’incidens scandaleux et de mauvaises influences règne dans plus d’un pays, à Rome comme à Berlin, comme à Madrid. Quant à la politique, si les grandes questions qui sont toujours dans l’air à l’Orient ou à l’Occident restent en suspens, rien ne laisse augurer des complications prochaines. La paix est entre les chancelleries. Les plus grandes puissances comme les plus petits États ont assez de leurs affaires intérieures. Ils ont tous leurs institutions à réformer, leurs crises ministérielles, leurs questions sociales, leurs troubles financiers ou commerciaux. La Belgique, occupée depuis six mois à réviser sa constitution, ne trouve pas aisément le secret de mettre tous les partis d’accord. En Italie, un ministère, qui semblait être sorti victorieux des