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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 249

laquelle tranchait crûment le vert criard d’une écharpe enroulée autour de son cou et de sa taille. Gomme son ombrelle, les plumes de son chapeau, ses nœuds de rubans, ses bas, tout dans sa toilette tirait sur le rouge cerise, et il me parut que son regard lui-même était un peu rouge.

— Je vous fais mon compliment, mademoiselle, dit-elle à Sidonie, vous avez un professeur qui prononce l’anglais assez convenablement. Et vous-même, comment le prononcez-vous ? Seriez-vous assez aimable pour me donner un échantillon de votre savoir-faire ?

Sidonie s’exécuta de bonne grâce, et ayant tiré de sa poche un petit in-douze anglais doré sur tranches, elle lui en lut une page. Ce fut une entreprise laborieuse. M me Isabelle la reprenait à chaque mot, le lui faisait répéter, en disant : « C’est presque cela, mais ce n’est pas encore cela. » La studieuse Sidonie, qui ne demandait qu’à devenir parfaite en toute chose, se prêtait à cet exercice avec une infatigable complaisance.

— Pourquoi n’est-ce pas elle qu’il aime ? me dit tout bas M me Monfrin.

Toutefois, son enthousiasme s’attiédit un peu quand, l’ayant priée de lui passer le livre, elle eut jeté les yeux sur le titre, ainsi conçu : les Destinées de l’homme, vues à la lumière de ses origines. Elle le feuilleta et lut tout haut le passage suivant : « L’homme sort lentement d’un état social primitif, où il ne valait guère mieux que la brute, pour se rapprocher d’un état définitif, dans lequel son caractère sera si heureusement transformé que rien de bestial ne subsistera plus en lui. Le singe et le tigre seront retranchés de la nature humaine. Le péché originel n’est que l’héritage de la bête, que chaque homme apporte avec lui en naissant. »

— Et les idées de ce monsieur sont les vôtres ?

— Pas tout à fait, il est théologien, et cela se voit. D’autre part, M. Tristan pense que le mal est le dérèglement de la volonté, et que les singes et les tigres sont des machines mieux réglées que la nôtre. Nous avons eu à ce sujet de longues discussions, et il m’a ébranlée.

— Eh ! mademoiselle, quand on discute trop ses idées, répliqua cette Anglaise rouge cerise, on finit par discuter ses devoirs. Les bêtes ne discutent pas, c’est l’avantage qu’elles ont sur nous, et les anges non plus ne discutent jamais. Vous le saurez quand vous serez devenue tout à fait ange.

Et s* étant tournée vers moi, elle marmotta dans sa langue maternelle une petite phrase qui signifiait :

— Cette belle fille, comme tous les Brogues, a, elle aussi, son petit grain de folie. C’est égal, je la préfère infiniment à l’autre.

Puis, haussant la voix :