par la raison naturelle, » n’est en effet que « la connaissance de la vérité par ses premières causes, c’est-à-dire la sagesse, dont la philosophie est l’étude. » Aussi est-ce proprement « avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher. » L’étude de la philosophie « est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en cette vie que n’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas. » Chaque nation est « d’autant plus civilisée et policée que les hommes y philosophent mieux, et ainsi c’est le plus grand bien qui puisse être dans un État que d’avoir de vrais philosophes. » (Épître dédicatoire des Principes.) Ne croyez-vous pas entendre d’avance les philosophes du XVIIIe siècle ?
De ces généralités, passons aux détails. Dans la puissance infinie du vouloir réside, selon Descartes, notre vraie grandeur ; le bien n’est donc autre que la rectitude de la volonté ou la « bonne volonté. » — « Le souverain bien de chacun en particulier ne consiste qu’en une ferme volonté de bien faire et au consentement qu’elle produit. Dont la raison est que je ne remarque aucun autre bien qui me semble si grand ni qui soit entièrement au pouvoir de chacun. » Descartes interprète ainsi en son sens profond la grande distinction stoïcienne entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, entre les biens de la volonté, qui sont seuls des biens, et les avantages extérieurs, qui n’ont pas un caractère de vraie moralité, a Un petit vase, dit Descartes, peut être aussi plein qu’un grand, encore qu’il contienne moins de liqueur ; ainsi le plus disgracié de la fortune ou de la nature peut être rempli par le contentement du vrai bien. »
Mais cette doctrine stoïcienne n’est encore que préliminaire. Dans une de ses lettres à Elisabeth, Descartes déclare que, laissant là Sénèque, il va établir les idées directrices de sa propre morale. Ces idées sont au nombre de quatre. D’abord celle de l’être parfait, qui est « le véritable objet de l’amour ; » puis l’idée de notre « esprit, » dont la nature, distincte du corps et « plus noble, » nous commande de nous détacher des choses corporelles ; en troisième lieu, l’idée du « monde infini, » qui nous détache de la terre même, en nous empêchant de croire « que tous les cieux ne sont faits que pour le service de la terre ou la terre que pour l’homme ; » la pensée de l’infini supprime ainsi, avec les fausses notions de causes finales, cette « présomption impertinente » par laquelle « on veut être du conseil de Dieu et prendre avec lui la charge de conduire le monde. » Enfin, la quatrième idée directrice de nos actes est la considération de notre rapport à la société universelle et au monde entier. Bien que chacun de nous soit « une personne séparée des autres, et dont par conséquent les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du