ce volume, parce que parler de l’amour, c’est en subir le charme, et le naturel de l’amour est de faire « qu’on se communique le plus qu’on peut. » Descartes se communique donc encore, et il distingue excellemment trois sortes d’amour pour ce qui nous est inférieur, ou égal, ou supérieur. « La nature de l’amour étant de faire qu’on se considère avec l’objet aimé comme un tout dont on n’est qu’une partie, on transfère les soins qu’on a coutume d’avoir pour soi-même à la conservation du tout. » Voilà le principe. Or, si nous nous « joignons de volonté avec un objet que nous estimons moindre que nous-mêmes, par exemple si nous aimons « une fleur, un oiseau, » nous ne donnons pas notre vie pour ces objets, parce qu’ils sont des parties du tout moindres que nous-mêmes. Au contraire, dit Descartes, s’animant de plus en plus et emporté enfin à cette éloquence qui vient du cœur, « quand deux hommes s’estiment, la charité veut que chacun d’eux estime son ami plus que soi-même ; c’est pourquoi leur amitié n’est point parfaite s’ils ne sont prêts de dire en faveur l’un de l’autre : Me me adsum qui feci, in me convertite ferrum. » De même quand un particulier se joint de volonté à ses concitoyens et à son pays, si « son amour est parfaite, » il ne se doit estimer « que comme une fort petite partie du tout qu’il compose avec eux, et ainsi ne craindre pas plus d’aller à une mort assurée pour leur service qu’on ne craint de tirer un peu de sang de son bras pour faire que le reste du corps se porte mieux. Et on voit tous les jours des exemples de cette amour, même en des personnes de basse condition, qui donnent leur vie de bon cœur pour le bien de leur pays. » De là suit cette dernière conséquence, que nous pouvons aimer non-seulement nos inférieurs, nos égaux, nos supérieurs, mais ce qui est supérieur à tout le reste, Dieu. Et notre amour envers Dieu « doit être sans comparaison la plus grande et la plus parfaite de toutes. »
Telle est la réponse de Descartes au premier problème posé par Christine. Maintenant, pour passer au second, pouvons-nous « véritablement aimer Dieu par la seule force de notre nature ? » — C’est ici que les théologiens vont dresser l’oreille. — « Je n’en fais aucun doute, » répond Descartes sans hésiter. « Je n’assure point que cette amour soit méritoire sans la grâce, je laisse démêler cela aux théologiens ; mais j’ose dire qu’au regard de cette vie, c’est la plus utile et la plus ravissante passion que nous puissions avoir, et même qu’elle peut être la plus forte. » Qu’est-ce en effet que Dieu, sinon un « esprit ou une chose qui pense ? » Nous qui sommes « pensée, » nous lui ressemblons donc, « et nous venons à nous persuader que notre âme est une émanation de sa souveraine intelligence, et divinœ quasi particulam aurœ. » Et si