rationnel, qu’est-ce autre chose que la volonté absolue de Descartes, supérieure même aux lois de notre logique et de notre morale ? Seulement, Descartes, lui, consentait à croire que cette volonté est bonne, parfaite, sage ; Schopenhauer ne trouve point d’identité entre absolu et bon. Il dit d’abord, comme l’avait fait Descartes lui-même : « a La Volonté absolue est absolument incompréhensible et insondable, » puis, contrairement à Descartes, à Spinoza, à Leibniz, il ajoute : « La manifestation de la Volonté, le monde, ne lui fait pas honneur. » L’optimisme cartésien s’est changé en pessimisme.
Si maintenant, pour conclure, nous essayons de marquer les lacunes du cartésianisme, nous observons d’abord que Descartes, préoccupé de retirer au monde matériel tout ce que la philosophie ancienne y avait mis de l’homme, de nos sensations, de nos qualités propres, de nos fins, en un mot des formes de notre sensibilité et des aspirations de notre volonté, a laissé la nature entièrement déshumanisée, et lui a même, comme aux animaux, retiré toute vie. L’automatisme des bêtes n’est, chez Descartes, que l’extension de l’automatisme des corps. Cette grande soustraction au monde extérieur de tout élément psychique, ce grand vide creusé autour de nous était alors nécessaire : Descartes montrait par là le légitime point de vue auquel doivent se placer les sciences de la nature. Mais autre est la science proprement dite, qui se contente des rapports extérieurs, autre la philosophie, qui cherche à se représenter l’intérieur des êtres.
Pour le philosophe, deux choses restent à expliquer dont le mécanisme cartésien ne rend pas compte. La première est la cause du mouvement. Descartes se tire d’affaire par le Deus ex machina, qui n’est pas une explication. Ce n’est point en dehors du monde, dans quelque chose d’inconnaissable, qu’il faut chercher la cause du mouvement ; c’est dans le monde même. En nous, nous saisissons à la fois le mouvement dans l’espace et l’appétition dans le temps ; il est donc naturel de se demander si les deux ne sont point la révélation d’une seule et même réalité, et s’il ne faut pas dire : — le mouvement, c’est l’appétition ou volonté représentée sous les formes de l’espace, et exerçant son action sur d’autres appétitions ou volontés ; l’origine et le fond du mouvement, c’est le vouloir.
La seconde chose dont Descartes ne rend pas compte, c’est l’apparence sensible. Il a beau dire que l’herbe n’est point verte, que le ciel n’est pas bleu, que le tonnerre n’est pas sonore, que le feu n’est pas chaud et que la glace n’est pas froide : encore faut-il expliquer comment ces apparences sensibles se produisent,