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méticuleuse des détails, il met en plein relief le genre d’influence auquel nous faisons allusion et ses moyens d’action, aussi simples qu’efficaces.

Elle était la fille d’un petit cultivateur des États de l’est, honnête, religieux, pauvre et chargé de famille. Comme ses sœurs et ses compagnes, elle se fiança de bonne heure, à seize ans, et, son fiancé étant pauvre, lui aussi, elle se mit en service dans une ferme voisine, travaillant, ainsi qu’il faisait, en vue de réunir un modeste pécule qui leur permît d’émigrer dans l’ouest et d’y fonder un foyer. Cela leur prit trois ans, à l’expiration desquels ils se marièrent et s’en furent s’établir à quatre cents lieues de là, dans la partie méridionale du Kansas. Les terres y étaient à bas prix, la population disséminée, et le settlement ne comportait encore qu’une douzaine de log cabins éparpillées sur une superficie de trente kilomètres. Au début, tout marcha bien ; lui, plein d’ardeur, défrichait et plantait : elle l’aidait, tenant leur maison, surveillant sa basse-cour. Les premières récoltes furent bonnes, et le log cabin fit place à une ferme confortable. Autour d’eux le pays se peuplait, l’immigration refluait de l’est et de l’ouest, la ferme prenait tournure et valeur. Mais de nouveaux élémens s’introduisaient dans ce milieu agricole. Mineurs désabusés de la Californie, coureurs de prairies, déclassés des grandes villes, arrivaient, attirés par les succès des premiers colons. Lui, était du nombre de ces derniers, un peu grisé par sa prospérité naissante, très sociable par goûts. Peu à peu il se laissa circonvenir et entraîner, il travaillait moins et dépensait davantage, il fréquentait les bar rooms et désertait son intérieur. La gêne entrait dans le ménage ; elle le voyait, mais à vingt-deux ans, loin des siens, sans parens, sans amies, sans conseil, la tristesse d’abord, puis le découragement, la prenaient.

Dans ses sentimens religieux et dans le souvenir des enseignemens de la famille, elle puisa les forces nécessaires pour réagir. Elle entreprit de sauver son mari, de l’arracher aux tentations et aussi de relever leur situation compromise. Avec le temps, la douceur et la persévérance, elle y réussit. Non sans peine, elle paya les dettes à force d’économie, ramena à elle ce mari plus léger que vicieux, auquel elle épargnait les reproches et prodiguait les encouragemens. En quelques années, années sombres, mais non sans lueurs d’espoir, elle mena sa tâche à bien et reconquit la modeste aisance au-delà de laquelle son ambition ne rêvait rien.

Le premier usage qu’elle en fit, avec l’assentiment de son mari,