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reçu de son beau-père une dot que l’on dit être double de la fortune que la baronne anglaise Burdett-Coutts apportait en mariage à M. L. Ashmead Bartlett, membre du parlement ; si l’on voit dans les États du far-west, dans le Colorado, l’Arizona et le Nevada, des mineurs enrichis faire monter, le jour du mariage, leur fille sur l’un des plateaux d’une balance et entasser sur l’autre un poids égal de lingots d’or, ces générosités de millionnaires et ces exhibitions de parvenus ne font pas loi. Elles ne sauraient expliquer l’incontestable succès de la femme américaine, l’attrait qu’elle inspire, le charme qu’elle dégage.

Il semble que sur ce sol, essentiellement démocratique, la nature se montre, en ce qui la concerne, plus aristocrate qu’ailleurs, et que le génie de la sélection y travaille perpétuellement à l’avancement de ses élues. De tous les dons qu’il leur prodigue, l’un des plus caractéristiques est à coup sûr l’adaptabilité. Peu de femmes, en Europe, possèdent, au même degré que l’Américaine, la faculté de s’identifier avec un milieu nouveau, de changer de pays, de climat, d’entourage avec une aussi merveilleuse souplesse. Mieux que d’autres, elle s’accommode aux circonstances, tout en conservant son individualité dans un cadre étranger. Les liens qui l’attachent à la ville ou au village natal sont sans force. Elle les rompra sans souffrance, elle émigrera sans hésitation. Citadine de New-York ou de Boston, de Baltimore ou de Philadelphie, elle suivra son mari dans les solitudes du far-west, ou, campagnarde, s’arrangera de Londres ou de Paris, de Munich ou de Borne avec une aisance parfaite. Ni les distances ne l’éliraient, ni les longs voyages ne l’arrêtent.

Il semblerait qu’elle n’ait pas de patrie, tant elle fait facilement la sienne du pays où sa destinée l’amène, de Melbourne ou de Hong-Kong, du Chili ou des Indes. Partout elle porte avec elle sa belle humeur, sa conception optimiste de la vie, son don de tirer parti de tout. Elle est la vraie femme d’une race nomade, prête aux déplacemens, insouciante du milieu, tenant pour bon celui qui la rapproche de son but, celui où l’activité de son mari rencontre un champ libre et large.

La jeune fille américaine n’hésitera pas un instant à épouser l’homme qui lui plaît, dût-elle le suivre aux antipodes, s’y fixer et y passer ses plus belles années. Pareilles perspectives qui feraient reculer une jeune fille française, et plus encore peut-être ses parens, n’ont pas d’influence sur elle. Elle est, de longue date, familiarisée avec cette éventualité ; elle sait, par expérience, que le home américain est instable, qu’il se déplace aisément et que rien n’est plus rare aux États-Unis qu’une existence écoulée dans la