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Saint-Pétersbourg, mais à quelque chose de plus impérieux, si c’est à l’impulsion du sang, à la force obscure de l’instinct, et je ne sais à quelle voix du dedans dont les suggestions les mènent en dépit d’elles à la victoire ou à la ruine. Inégalement douées, inégalement développées, il y en a d’humbles et de douces, il y en a de hardies et de féroces, dont les unes sont faites pour obéir et les autres pour commander. Viennent-elles à se rencontrer, sur quelque terrain que ce soit, il faut qu’elles prennent leur niveau, si l’on peut ainsi dire, et que, la loi s’accomplissant, la prospérité des secondes se compose de la destruction ou de l’asservissement des autres. Mais, en ce sens et de ce point de vue, la guerre n’est alors « que la manifestation des tendances et des forces qui règnent dans les élémens hétérogènes de l’humanité. » Race ou espèce, de quelque nom que l’on se serve pour exprimer et résumer les différences qui séparent l’homme de l’homme, elles existent, et elles sont profondes, et la guerre n’est que l’issue sanglante par où elles cherchent à se satisfaire. La guerre se trouve donc ainsi rattachée, par sa définition même, à quelque chose de plus qu’humain, si nous ne sommes pas les auteurs, mais les instrumens, les dupes, ou les victimes de nos propres instincts. Fondée sur l’hostilité naturelle des races, elle est aussi nécessaire ou fatale « que l’est en tout ordre de choses la perpétuité d’action des forces qui y prennent part. » Et comme, d’autre part, à mesure qu’elles se détruisent les unes les autres en tant que formations naturelles, les races se reconstituent en tant que formations historiques ou sociales, on ne prévoit même pas que la guerre doive jamais cesser de les précipiter les unes contre les autres. Elle est vraiment dans le sang de nos veines, et le langage, par exemple, ou le sentiment religieux ne nous sont pas plus innés.

Cette manière de définir la race a plusieurs avantages, dont le moindre n’est pas de soustraire le problème ethnique à la compétence des naturalistes pour le rendre à celle des historiens. S’il a pu jadis exister des races naturelles, c’est-à-dire dont tous les représentans fussent issus d’un auteur commun, l’histoire n’en connaît pas de telles, mais seulement des races historiques. « La notion de race aujourd’hui, dit très bien M. Gumplowicz, n’est plus partout qu’une notion historique… La race est une unité qui, au cours de l’histoire, s’est produite dans le développement social et par lui… Ses facteurs initiaux sont intellectuels : langue, religion, coutume, droit, civilisation… Ce n’est que plus tard qu’apparaît le facteur physique : l’unité du sang : celui-ci est bien plus puissant, il est le facteur qui maintient l’unité. » Nous dirons la même chose d’une manière encore plus brève : ce n’est pas le sang