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bien et le mal, à user et à abuser de tout ; on s’est cru tout permis ! Et c’est ainsi que s’est formé par degrés un régime où tout s’est émoussé, le sens moral aussi bien que le sentiment de la loi, de l’équité, des droits de l’État, de l’autorité du gouvernement. C’est ainsi qu’on en est venu à ce point de relâchement où des hommes publics, mal garantis contre les tentations du pouvoir, ont trouvé tout naturel de mettre les financiers à contribution pour leur cause et pour eux-mêmes, de trafiquer de leur influence sous la protection de la solidarité républicaine.

Maintenant le mal est fait, il est d’une criante évidence ; ce qui l’a préparé, ce qui l’a fait est aussi évident, et l’explosion de ce prodigieux scandale de Panama n’est que la manifestation plus concentrée, plus saisissante d’un état moral progressivement altéré. Après cela, dans ces conditions, quel est le caractère, quelle est la signification réelle de ces deux incidens qui ont signalé l’ouverture de la session nouvelle, qui se sont produits simultanément au Palais-Bourbon et dans les conseils du gouvernement ?

Chose à remarquer, ces tristes révélations semblent avoir eu pour premier effet de réveiller ce sentiment d’honnêteté qui se retrouve toujours dans une assemblée, parmi des hommes réunis, et qui a pour un moment dominé l’esprit de parti lui-même. C’est après tout le sentiment qui s’est traduit dans le vote pour la présidence. M. Floquet a avoué publiquement, authentiquement, que lui, président du conseil, ministre de l’intérieur, il avait surveillé, dirigé, non pour son usage personnel, mais dans un intérêt de parti, des distributions de fonds, les libéralités d’une compagnie industrielle. Après cet aveu, voter pour M. Floquet, c’était, de la part de la chambre, accepter devant le pays la solidarité des doctrines et des procédés de l’ancien ministre de l’intérieur, une sorte de complicité dans une dilapidation de l’épargne publique : elle a reculé, elle a laissé M. Floquet retomber de son propre poids dans le vide qu’elle a fait autour de lui ! Et ce qui ajoute peut-être encore à la signification de ce vote, c’est le choix du nouveau président. M. Casimir Périer a été évidemment choisi pour son nom, pour l’intégrité qu’il représente ; il a été choisi comme M. Carnot a été choisi, il y a cinq ans, dans des circonstances à peu près semblables. Ce nom de Casimir Périer, qui est sorti spontanément des dernières crises, engage celui qui le porte et est fait pour relever une assemblée. Quant au remaniement ministériel, qui a coïncidé avec l’élection du nouveau président de la chambre, il doit rentrer plus ou moins dans le même ordre de manifestations. Il n’a aucun sens, ou il signifie qu’on a senti la nécessité de simplifier, de dégager une situation si profondément troublée. M. Ribot, en se chargeant lui-même du ministère de l’intérieur, doit avoir eu une idée, une intention.

Quoi donc ? disent déjà les radicaux inquiets : M. Casimir Périer à