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en plusieurs régions de l’Islam ; et s’ils l’ont d’une autre couleur que les vrais croyans, ce sont ces derniers qui l’ont voulu.

On connaît la longue lévite, la talare du Juif polonais ; c’est pour nous le costume classique des Juifs. Nous sommes enclins à nous les représenter toujours ainsi dans le passé ; c’est à tort. Dans l’ancienne Pologne, les Juifs aisés portaient le costume polonais : sur la tête le spodek, bonnet fourré de peau de renard ou de martre, tel qu’on leur en voit encore, le jour du Sabbat en Gallicie ; autour du corps, le caftan, ou mieux le joupan polonais fendu aux manches et serré à la taille par une large ceinture, comme les Juifs de là-bas aiment toujours à en nouer autour de leurs reins. Avec cela, le pantalon dans les bottes et le sabre au côté, car, dans la tolérante Pologne, le Juif avait jadis, comme les nobles, le droit de porter le sabre, si bien qu’on prendrait le portrait d’un pacifique marchand juif pour celui d’un orgueilleux palatin ou d’un belliqueux voïévode. Ce riche costume, les Juifs, avec leur répugnance pour le changement, le conservèrent quand il était abandonné des pans polonais ; on le prit alors pour un costume juif. Le gouvernement russe l’interdit. Les israélites de Pologne et de Petite-Russie durent échanger le bonnet fourré pour la calotte ou la casquette de soie ou de velours qui était la coiffure des petites gens des villes ; et en mainte localité, la casquette devint, à son tour, la coiffure juive. Ailleurs, les fils d’Israël ont adopté le chapeau à haute forme ; le « cylindre, » comme disent les Allemands, est devenu en quelques contrées leur couvre-chef national. J’ai vu, ainsi, à Tibériade, de sordides Juifs allemands promener leurs « tuyaux de poêle » aux bords solitaires de la mer de Galilée. Le joupan polonais fut remplacé par une longue redingote plus ou moins semblable au caftan des marchands russes. L’empereur Nicolas en jugea bientôt les pans trop longs ; l’autorité impériale entra en campagne contre la talari, prise en affection par les Juifs ; il y eut des règlemens pour en déterminer les dimensions. Les récalcitrans furent arrêtés dans la rue et les ciseaux des agens de police rognèrent, séance tenante, les lévites qui dépassaient la mesure réglementaire.

Infortunés fils de Juda ! leur crasseuse talare ne fut pas seule en butte aux tracasseries administratives. Il en fut de même de leurs longues barbes et de leurs longs cheveux, surtout des boucles en papillotes ou peisse qu’ils avaient coutume de laisser pendre le long de leurs joues. Il est écrit dans le Lévitique (XIV, 27) : « Vous ne couperez pas vos cheveux en rond, et vous ne raserez pas votre barbe. » À ces papillotes en tire-bouchons, l’empereur Nicolas déclara la guerre, ne les permettant qu’aux rabbins, ce qui était les rendre plus chères aux Juifs du commun, en en