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voir si les Slaves ou les Roumains d’Autriche-Hongrie s’amusent à germaniser ou à magyariser leur nom, afin de se donner un air allemand ou hongrois.

Un coup d’œil sur les prénoms des Israélites, dans les divers pays de l’Europe, nous suggérerait des réflexions analogues. Là aussi se manifeste la tendance des Juifs à sortir de leur isolement ancien. Rien que dans les dictionnaires biographiques, on pourrait glaner quelques traits qui, pour sembler parfois divertissans, n’en sont pas moins caractéristiques. Les Juifs jadis portaient tous des prénoms de l’Ancien-Testament ; aujourd’hui, en Occident, la plupart préfèrent les noms en usage chez nous. En quelques contrées, ils avaient récemment encore deux prénoms, l’un ancien, biblique, pour la synagogue et la famille ; l’autre moderne, profane en quelque sorte, pour le monde et les affaires. Quand ils prennent encore des noms d’origine hébraïque, ils adoptent, le plus souvent, la forme vulgaire, chrétienne ; ils s’appellent Jacques, ou James, au lieu de Jacob. Les vieux noms hébreux n’ont-ils pas de dérivés, il est des Juifs qui les traduisent par des noms chrétiens modernes, ayant même sens, sinon même racine. L’exemple vient de haut ; il y a longtemps déjà que Baruch Spinoza changeait son Baruch en Bénédict ou Benoît qui a le même sens. Un Israélite allemand peut ainsi rendre Salomon par Friedrich. Mais, le plus souvent, les Juifs modernes se servent d’un autre procédé ; ils remplacent les prénoms hébreux par des prénoms d’origine latine, grecque, germanique, ayant même initiale ou même consonnance. Isaïe se transforme en Isidore, Rachel a pour équivalent Rose, et Adèle, Adélaïde se substitue à Abigaïl. Savez-vous pourquoi Maurice est un des noms en vogue chez les Juifs ? c’est que Maurice dissimule Moïse. Il en était probablement de même des Juifs hellénistes, d’Asie ou d’Egypte, qui se faisaient appeler Ménélas. Innocent travestissement dont nous aurions tort de nous choquer, car le Juif n’y recourt qu’afin de se rapprocher de nous.

Qu’est-ce ici, si ce n’est un indice et comme un emblème parlant de l’esprit qui prévaut dans le moderne Israël ? Le Juif, l’Israélite d’Occident du moins est las de faire bande à part ; il a renoncé au particularisme à demi forcé, à demi spontané, dont ses pères nous ont longtemps donné le spectacle. Que nous envisagions le costume, la langue, les noms, tout ce qui distingue extérieurement les hommes, nous arrivons toujours à la même conclusion : les Juifs modernes ont à cœur de devenir pareils à nous. Ils se donnent pour cela autant de peine que leurs ancêtres les plus fanatiques ont jamais pu s’en donner pour rester isolés de nous. De leur côté, toutes les barrières ont été renversées. Irons-nous leur reprocher de conserver, pour leurs cérémonies religieuses, leur