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lesquelles sa rivale éprouvera les difficultés les plus sérieuses à la supplanter.

Le vrai péril, le danger pressant, c’est la substitution des produits de l’industrie allemande aux objets de fabrication française dans la consommation de l’Italie. Telle est l’éventualité qu’il importe surtout d’écarter, et si, pour sauvegarder le transit, il peut suffire provisoirement aux compagnies de chemins de fer de se résigner aux abaissemens de tarifs nécessaires, l’établissement d’une route plus directe et plus rapide entre l’Italie et la France, de préférence par le SimpIon, peut seul donner quelque espoir d’éviter ou de retarder la trop rapide décroissance des relations commerciales entre les deux nations.

Ce premier document ne contenait et ne pouvait contenir que des prévisions. Quelques années plus tard, en 1886, M. Lockroy, ministre du commerce et de l’industrie, confia à M. Edmond Théry le soin de procéder à une nouvelle enquête. La situation, déjà vieille de quatre ans, avait eu le temps de se définir et de s’affirmer. Le rapport qui fut remis au ministre en exécution de ces instructions est fort probant et n’a pas reçu la publicité qu’il méritait.

M. Théry recherche d’abord si le but poursuivi par chacun des trois peuples qui ont contribué à l’ouverture du Saint-Gothard est atteint ou s’il est sur le point de se réaliser.

L’intention de l’Allemagne était d’envahir le marché italien, d’y remplacer la France, puis d’atteindre Gênes et de faire pénétrer de là ses marchandises sur le littoral méditerranéen. Ses espérances ont été si peu déçues, que, de 1881 à 188A, les exportations allemandes ont augmenté de 66 pour 100 en Italie, et de 72 pour 100 en Espagne.

La Suisse visait également l’Italie et le port de Gênes. Or, durant la même période, elle a vu croître de 102 pour 100 ses exportations dans ce pays.

Quant aux Italiens, ils songeaient à se mettre en rapport avec l’Europe du Nord, puis à concentrer dans le port de Gênes le mouvement d’échanges qui devait naître et croître rapidement entre toute cette région et les bords de la Méditerranée. Ils ne faisaient point fausse route : les résultats sont là pour en témoigner. Tandis, par exemple, que les importations de vins en Suisse par la frontière française diminuaient de 19 pour 100 de 1881 à 1884, les importations de même nature par la frontière italienne augmentaient de 156 pour 100, et l’entrée des céréales par l’Italie progressait de 322 pour 100, alors que, du côté de la France, elle demeurait à peu près stationnaire. Et vins comme céréales traversent en majeure partie la Suisse sans s’y arrêter.