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UJNE HISTOIRE INACHEVÉE. Ollb

Il dit que… je… enfin que les gens qui écrivent ne pourraient jamais réussir à intéresser s’ils peignaient les choses comme elles sont. À l’entendre, ils choisissent, ils prennent le moment critique dans la vie d’un individu et veulent iaire accroire que cette crise est ce qui arrive tous les jours. Mensonge, à entendre le général. Selon lui, la vie est terre à terre et sans événemens,

— du moins sans événemens dans le sens pittoresque ou dramatique. Il admet encore que, d’aventure, on retire de l’eau une femme qui se noyait, mais ce n’est jamais un amoureux qui accomplit le sauvetage, c’est un baigneur qui a femme et enlans et qui accepte cinq livres sterling pour la peine. C’est bien ça, dites ? demanda le romancier.

Le général hocha la tête en souriant.

— Ce que je prétends, expliqua-t-il, c’est que, si les choses étaient racontées exactement comme elles sont, on ne s’y intéresserait pas. Jamais les gens ne tiennent les propos qu’on leur prête au théâtre ou dans les romans. Dans la vie réelle, ils sont communs, sordides… ils vous causent un désappointement… J’ai vu des soldats tomber sur le champ de bataille, par exemple. Eh bien, ils ne criaient pas : « Je meurs pour que mon pays vive ! » ou bien : « J’ai attrapé ma promotion à la fin ! » Ils regardaient le chirurgien d’un air fixe : « Est-ce que je perdrai ce bras-là ?.. » Ou bien : « Je suis tué ! » Voilà tout ce qu’ils disaient. Voyez -vous, quand les blessés râlent autour de vous, que les chevaux s’effarent, que les batteries vomissent un feu bien nourri, on n’a pas le temps de penser à faire des mots appropriés aux circonstances. Jamais je ne croirai que les dernières paroles de Pitt aient été : « Roulez maintenant la carte d’Europe. » Un homme capable de transformer la face d’un continent n’use pas son dernier souffle à lancer des épigrammes. C’est un de ses secrétaires ou un de ses médecins qui aura dit cela. Quant à celui qui a écrit : « Tout est perdu, fors l’honneur, » je gage qu’il était l’espèce d’homme qui perd plus de batailles qu’il n’en gagne. Non, non… Vous, Phillips, — et le général éleva la voix, en homme qui sent qu’il tient le dé, — vous, Phillips, et vous, Trevelyan, vous n’écrivez pas, vous ne peignez pas les choses de tous les jours, comme elles sont. Vous recherchez les contrastes, les effets, vous introduisez un habit rouge dans le paysage, parce qu’il vous faut une tache éclatante, tandis que tout de bon l’habit rouge est à des lieues de là ; ou bien vous voulez que des musiciens ambulans jouent un air populaire dans la rue, au-dessous de la maison où s’accomplit un crime. Vous faites cela, parce que c’est impressionnant, mais ce n’est pas vrai. Tenez, M. Caithness nous contait l’autre soir, au club, sur ce sujet même…