Assurément au courant de ces instructions poursuivies à la fois sous toutes les formes, à la tribune même, comme dans l’enquête parlementaire, comme dans le cabinet du juge instructeur, et menées, il faut l’avouer, un peu confusément, de singulières révélations se sont produites. On en sait assez désormais pour ne point douter qu’il n’y ait des culpabilités, les unes justiciables des lois pénales, les autres ne relevant que des lois morales ou de l’opinion : à la lumière de toutes ces procédures à demi publiques, à demi secrètes, on a pu pénétrer dans l’intimité d’un monde étrange, à peine soupçonné. On a pu voir des chefs de partis, qui ne s’en vantaient pas, accepter, rechercher l’amitié, l’alliance et même la complicité pécuniaire de croupiers cosmopolites déguisés en savans, qui étaient dans tous les marchés honteux et demandaient dix millions pour faire voter une loi. On a entendu d’anciens présidens du conseil, d’anciens ministres avouer avec une sorte de naïveté qu’ils avaient participé aux plus équivoques distributions d’argent, qu’ils avaient compromis l’État dans de louches négociations ou même qu’ils avaient disposé pour leurs besoins politiques, pour des intérêts de parti, des fonds affectés à la défense nationale, au ministère des affaires étrangères et au ministère de la guerre. À ne prendre que ce qui est avéré, c’est certes plus que suffisant.
Oui, sans doute, tout cela est douloureux, tristement significatif, et c’est à la justice régulière ou à l’opinion sérieusement représentée d’en demander compte à ceux qui ont abusé de leur position ou de leur pouvoir ; mais, à côté de ces faits assez graves par eux-mêmes et qu’on a eu peut-être le tort de laisser trop traîner dans des procédures décousues, il y a, il faut l’avouer, une chose qui est presque aussi répugnante : c’est cette campagne implacable, assourdissante d’accu sations, de suspicions et de délations, qui s’est organisée, qui ressemble en vérité à une guerre de sauvages. De toutes parts, c’est à qui se substituera au juge, à la police, et fera son enquête en vidant tous les portefeuilles suspects, ou organisera ce qu’on pourrait appeler les coups de théâtre de la dénonciation. C’est à qui signalera des maisons où il faut aller faire des perquisitions, les témoins qu’on doit interroger, à qui livrera aux curiosités inassouvies de prétendues révélations nouvelles. Les étrangers eux-mêmes s’en sont mêlés et n’ont trouvé rien de mieux que de propager en Europe les faux bruits qu’ils recueillaient. Une fois dans cette voie, on n’a plus rien respecté ; on n’a pas hésité, bien entendu, à mettre en scène M. le président de la République, dont l’intégrité échappe au soupçon, — et ce qui est peut-être plus grave encore, on n’a pas craint de mêler à ces tristes débats les noms de quelques représentans des puissances de l’Europe, au risque de compromettre la France dans sa bonne renommée d’hospitalité, en lui attirant des incidens au moins pénibles. De sorte qu’à une réalité déjà