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servir à cette occasion un repas abondant et de les faire si bien boire qu’ils ne puissent regagner leur bateau qu’en chancelant. » Cette ivrognerie obligatoire n’est rien auprès des petits soins qui attendaient, d’après M. le chanoine Janssen, les corvéables de l’Allemagne du Sud, dans l’accomplissement de leur tâche : les uns doivent recevoir « une miche de pain, appelée miche de nuit, assez grande pour aller de leur genou à leur menton, » les autres « une pièce de viande qui doit déborder de quatre doigts des deux côtés du plat. » Le charretier, pendant sa route, aurait droit « à un quart de vin à chaque mille, » et son cheval à assez d’avoine « pour qu’elle montât jusqu’au poitrail. » La nuit, « on fera aux corvéables un lit avec de la paille, et l’on engagera un vielleur qui leur viellera pour les endormir. »

Ce sont là, il faut l’avouer, de dignes pendans aux histoires légendaires de vilains qui, au lieu d’être bercés aux Irais de leur maître, auraient été forcés, pour empêcher les grenouilles de troubler son sommeil par leurs croassemens, de passer la nuit à battre l’eau des douves seigneuriales. Les chartes sont innombrables, et il ne faut pas prendre au pied de la lettre tout ce qu’elles nous racontent. La vérité est que les corvéables étaient, le plus souvent, nourris eux et leurs bêtes ; mais il est clair que les propriétaires, en se réservant des corvées, entendaient se procurer un avantage et non une charge, et que la corvée était onéreuse à celui qui la faisait. Cela tombe tellement sous le sens, qu’il semblerait ridicule de le dire si les passions politiques ne s’étaient pas introduites trop souvent dans le moyen âge, pour l’interpréter selon leurs tendances. En revanche, il est tout à fait certain que la même terre ne devait pas à la fois de l’argent, des denrées et des corvées, mais seulement l’une ou l’autre de ces choses ; ou que, si sa redevance embrassait ces différens objets, elle ne devait chacun d’eux que dans des proportions très minimes. Outre ces obligations régulières existaient, pour le vassal, des obligations accidentelles : le mariage hors du domaine, le formariage, restait frappé parfois d’un impôt représentatif de la perte que le propriétaire éprouvait par le départ d’un tenancier.

Celaient là les contributions féodales directes ; les indirectes consistaient en péages sur les rivières, sur les routes de terre, en banalités de moulins et de fours dont la population était contrainte de se servir. À en juger par la valeur vénale ou par le revenu de ces derniers monopoles, le seigneur paraît mettre ses services à un prix raisonnable : le meunier banal prend pour sa peine, au moyen âge, le vingtième au moins et le quatorzième au plus du grain qu’on lui confie, soit au maximum 7 pour 100. Aujourd’hui, la meunerie libre, dans nos campagnes, prend 6 pour 100, ce qui revient à peu près au même. Le revenu net que procurent les